A 100 kilomètres au sud d'Alger, à Tibhirine, vivaient une dizaine de moines cisterciens. Sept d'entre eux sont morts, assassinés pendant la guerre civile des années 90. Frère Christian avait écrit son testament, Frère Christophe, le plus jeune des moines, nous a laissé son journal. Avec leurs mots, ces hommes nous disent pourquoi et comment ils sont restés, aux côtés de leurs voisins musulmans du village de Tibhirine.
En 1954, quand commence la guerre d'indépendance, frère Luc, le médecin est déjà là depuis une dizaine d'années. Le village de Tibhirine doit son existence à la protection accordée par la présence militaire française et la présence de Luc. En 1962, les moines donnent à l'état algérien la plus grande partie de leurs terres. Ils ne gardent que 10 hectares qu'ils cultivent eux-mêmes avec quatre villageois pour associés. Notre-Dame-de-l'Atlas devient un monastère chrétien en terre musulmane avec une communauté d'une dizaine de moines.
Le 29 mai 1996, les journaux publient le testament spirituel de Christian, une lettre écrites deux ans et demi plus tôt et donnée à sa famille.
La menace, qui sera permanente dans ce que l'on appellera la décennie sanglante, avait commencée après l'annulation des élections qui allaient être gagnées par le FIS. Après l'assassinat de policiers et de journalistes et intellectuels vient l'ultimatum du 1er décembre 1993 intimant l'ordre aux étrangers de quitter le pays.
14 jours après, douze croates sont égorgés à 4 km de Tibhirine. Le 23 décembre Christian réunit la communauté. Probablement la question est de savoir si, en ces temps de souffrance partagée, on peut dire : on s'excuse mais on s'en va.
Le 24 décembre 1993, trois hommes en armes tombent sur l'hostellerie, rencontrent Paul et demandent "le pape du monastère". Christian ne veut pas d'armes dans le monastère. Sayah Attia accepte de discuter dehors et finit par s'excuser d'avoir troublé le jour où l'on fête la naissance de Jésus, le prince de la paix. Ses derniers mots "Nous reviendrons" jettent toutefois une ombre oppressante sur la vie de la communauté pour les jours, les mois et les deux années et demi à venir.
Si les moines disent" nous sommes comme les oiseaux sur la branche" ils sont aussi sensibles à ce que disent les villageois : La branche c'est eux, s'ils partent les villageois perdront confiance et c'est eux qui partiront.
Le wali, le préfet, sent le danger approcher et veut qu'ils soient armés ou partent se réfugier le soir sous la protection de l'armée. Ce qu'ils refusent. Chacun des jours de ces deux ans et demi, les moines évaluent les risques. En définitifs, ils ne se sont pas trahis ni n'ont trahis les Algériens. Ils ne se préparaient pas au martyr mais ils ont combattu à leur façon, comme les intellectuels ou les gens au quotidien, sans armes, pour désarmer la spirale de la violence.
En cela Christian a sans doute été jusqu'au bout de ce qu'il croyait sans doute devoir à Mohamed, son compagnon de la guerre d'Algérie. Durant celle-ci, Christian, 23 ans, aime à discuter religion avec Mohamed son ami garde-champêtre, père de dix enfants. Lors d'une escarmouche où Christian est impliqué, Mohamed prend des risques pour faire cesser l'agression. Il sera assassiné devant son puits, le lendemain, en guise de représailles. Christian considérera ce sacrifice comme un appel qui le fera rester en Algérie.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines trappistes sont enlevés et séquestrés pendant deux mois. L'assassinat des moines est annoncé le 21 mai 1996, dans un communiqué attribué au Groupe islamique armé. Mais Tibhirine a gardé tous les siens. Aucun jeune du village ne s'est laissé embrigader avec aucune des deux camps. Sayah Attia, mort en 1994, n'est jamais revenu.
En 2006, le documentaire d'Emmanuel Audrain est diffusé sur France 3, tard dans la nuit. Il capte l'attention d'Etienne Comar, scénariste, qui en propose sa version à Xavier Beauvois. Enthousiasmé, celui-ci réalise Des hommes et des dieux qui rencontre un public de plus en plus large. Le documentaire, Le testament de Tibhirine, et la fiction, Des hommes et des dieux, reviennent sur les mêmes faits et s'enrichissent mutuellement. Le documentaire fait comprendre ce qui a motivé l'attitude de Christian que Beauvois évoque avec des dialogues imaginés avec les autres moines. Il montre aussi ce qui est repris de la réalité (la métaphore des oiseaux sur la branches, les paroles du préfet...) et les points imaginés (le retour de Sayah Attia, les dialogues avec les autres prêtres).
Le documentaire explique le contexte politique et personnel du "testament" de Christian de Chergé, prieur du monastère, une courte mais intense lettre. Elle est publiée huit jours après l'annonce de la mort des sept moines, par La Croix, puis dans toute la presse. Elle commence ainsi :
"Quand un A-DIEU s'envisage. S'il m'arrivait un jour -et çà pourrait être aujourd'hui - d'être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j'aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était Donnée à Dieu et à ce pays".
Cette lettre a été écrite deux ans et demi avant l'enlèvement puisque commencée le 1er décembre 1993 à Alger, le jour de l'ultimatum du GIA aux étrangers et terminée le 1er janvier 1994 à Tibhirine après la visite de Sayah Attia.
Pour emplir cet espace, Xavier Beauvois fait revenir une seconde fois le terroriste au monastère où il est soigné. Audrain découpe la lecture de la lettre, montrée à l'écran pour renforcer sa puissance d'émotion. Les deux cinéastes expliquent ensuite avec des moyens différents la résolution de Christian qui entraine celle du groupe : dialogues avec les autres moines pour Beauvois, rappel de l'épisode de la guerre d'Algérie pour Audrain .
Montparnasse, décembre 2010. Le DVD : 18 €
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Avec : Annick Bouzit, nièce de Paul et son mari Rachid, Claude Rault, évêque du sud algérien, Robert Fouquez, ermite et voisin, Gilles Nicolas, curé de Médéa. 0h53.
Emmanuel Audrain
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