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The master

2012

Avec : Joaquin Phoenix (Freddie Quell), Philip Seymour Hoffman (Lancaster Dodd), Amy Adams (Peggy Dodd), Jesse Plemons (Val Dodd), Ambyr Childers (Elizabeth Dodd), Laura Dern (Helen Sullivan), Rami Malek (Clark), Kevin J. O'Connor (Bill William), Christopher Evan Welch (John More). 2h24.

Été 1945. Sur une plage du Pacifique, de jeunes hommes tuent le temps en attendant la fin de la guerre. Freddie Quell se masturbe sur une femme de sable puis frénétiquement devant la mer. 2 septembre 1945, signature des actes de capitulation du Japon par le général Douglas MacArthur. Freddie fait couler de l'alcool caché dans une torpille du navire sur lequel il officie. Allongé sur le pont du bateau, Freddie semble inconscient. Démobilisés, les marins sont informés que leur retour à la vie civile sera difficile. Freddie subit deux interrogatoires de psychologues militaires suite à des dépressions qu'il refuse de reconnaitre.

Rendu à la vie civile, Freddie est photographe pour un grand magasin, il courtise Martha, mannequin du magasin, et concocte des mixtures alcoolisées dans son laboratoire. Un jour, il frappe un client qui ne lui revient pas. Freddie est alors coupeur de choux dans une ferme du Salinas. Il sympathise avec un vieux journalier mexicain mais l'alcool qu'il lui fait boire le tue et il n'échappe qu'en courant à perdre haleine à la vengeance de sa communauté.

Errant dans les rues de San Francisco, il monte à bord d'un bateau en partance pour New York via le canal de Panama. Sur ce bateau, il est accueilli par Lancaster Dodd qui marie sa fille. Il devient aussi l'ami de sa femme, Peggy qui apprécie que son mari se mette à écrire de nouveau et de Val, leur autre fils. Dodd devient le disciple et cobaye de Lancaster Dodd qui vient d'écrire La Cause et qui expérimente une technique de développement personnel. Dodd met au point une thérapie à deux personnes basée sur des questions-réponses et focalisée sur les souvenirs pénibles. Freddie se souvient qu'il n'est pas revenu voir sa marraine de guerre, Doris, une jeune fille de seize ans qu'il avait promis de revoir après s'être engagé comme marin.

A New York, ils sont reçus amicalement par Mildred Drummond qui leur avait prêté le yacht et qui se réjouit d'une nouvelle séance de la thérapie de Dodd. Celui-ci prétend que se réveiller de sa personne présente pour revenir à son état de pureté initial, connu antérieurement, peut guérir de toutes les maladies physiques et mentales du présent. Il est pris à parti par un contradicteur. Le soir Freddie s'en va lui casser la figure.

L'équipe fuit les critiques de New York pour se réfugier à Philadelphie chez la riche Helen Sullivan qui met sa maison à leur disposition. Pour les besoins de la thérapie Freddie doit accepter d'aller et venir longuement entre un mur et une fenêtre. Val lui fait part de son scepticisme. La police vient arrêter Dodd au sujet d'une dette due à Mildred Drummond. Freddie se met en colère.

La famille se retourne contre Freddie mais Dodd reste ferme et le choisit même pour aller déterrer les écrits qui serviront à son deuxième livre présenté lors du premier congrès de la cause à Phœnix.

Lors du Congrès de mai 1950, Helen Sullivan relève que la phrase initiale de la thérapie a changé: ce n'est plus "souvenez-vous" mais "imaginez" ce qui la trouble. Bill William, l'éditeur de Dodd, critique ouvertement le livre de celui-ci. Freddie lui casse la figure.

Dodd, Elisabeth, Clark et Freddie vont dans le désert. Freddie s'enfuit en moto et laisse Dodd ébahi et déconcerté.

En 1952, Freddie revient à Lynn (Massachussetts). La mère de Doris lui apprend qu'elle est désormais âgée de 23 ans et s'appelle Doris Day, homonyme de la célèbre actrice. Elle a déménagé dans un autre état et a deux enfants.

A la fin des années 50, Freddie, devenu propriétaire d'un cinéma, est appelé au téléphone par Dodd qui dirige sa secte depuis Londres. La rencontre ne donne rien et les deux hommes restent séparés et solitaires.

Comme tout grand film, The master est à la fois un documentaire et une fiction. C'est un documentaire sur les recherches de Ron Hubbard, fondateur de la scientologie et c'est une fiction qui met en parallèle un homme qui vit par le rêve et délaisse le réel et une sorte de double improbable, Freddie, qui, à l'inverse, souffre dans le réel et aspire au rêve. Hubbard est ici appelé Lancaster Dodd mais les détails biographiques, la méthode thérapeutique et même une certaine ressemblance physique entre Seymour Hoffman et Hubbard ne laissent pas de doute sur le personnage réel portraituré. L'amitié de Dodd avec Freddie est en revanche une pure invention. En rédigeant ce scénario de l'échec d'une amitié, Anderson se donne la possibilité d'une grande construction métaphorique auscultant l'Amérique des années 50 et son échec, bienheureux, à construire un monde idéal et aseptisé.


La cause : de la prétention scientifique à la religion.

Paul Thomas Anderson ne caricature pas la scientologie. Si son jugement est sans appel sur la totale inefficacité de la méthode, il respecte l'homme qui l'incarne. A rebours des succes stories hollywoodiennes, il montre l'échec patent d'un homme, au départ curieux et chaleureux, qui finira solitaire et abandonné.

Tout avait pourtant bien commencé lors de cette séance inaugurale de mars 1950 sur le bateau de Dodd. Freddie n'avait, jusqu'alors, pu tirer profit de la psychanalyse professionnelle. Ni de celle appliquée mécaniquement par le psychologue au test de Rorschach, ni de l'officier qui l'avait interrogé sur la lettre de Doris et le rêve qu'il avait fait du retour au pays avec ses parents. L'interrogatoire poussé de Dodd fait ressortir en trois flashes-back successifs cette intense et frémissante histoire d'amour. Freddie assume aussi enfin de souffrir d'un père alcoolique et d'une mère psychotique. Il comprend qu'il gagnera à cesser de se présenter comme un animal qui pète et ne pense qu'au sexe. Il s'engage pour la première fois dans une relation amicale.

Le film ne cesse ensuite de montrer les échecs successifs de la méthode de Dodd. Passe encore pour la jeune fille qui se souvient que, foetus, sa mère rechignait à un rapport sexuel mais la séance de la femme qui, dans une vie antérieure, se croyait un homme prisonnier d'une armure ne semble que modérément convaincre l'auditoire new yorkais. L'attaque en règle dont Dodd fait l'objet de la part de John More est bien évidement convaincante. C'est honteux que le groupe quitte alors la réception des Drummond collé l'un à l'autre dans l'ascenseur. À Philadelphie, chez Helen, celle-ci minaude mais Freddie perçoit bien la joie factice, la futilité qui manque de virer à la partouze. C'est ce que Peggy a ressenti aussi. Elle masturbe son mari et contraint tout le monde au régime sec.

Surgit alors l'éprouvante séquence du quotidien des exercices de la méthode qu'Anderson magnifie dans trois séquences montées en parallèle. Toutes échouent : le face à face Clark Freddie ; les allers-retours infinis de Freddie dans la pièce et la tentative de sujétion-libération de Peggy. Celle-ci n'en annonce pas moins fièrement le congrès de Phœnix... qui se termine en déconfiture. Helen ne peut supporter le passage contradictoire du "Souviens-toi" au "Imagine". Le style est contesté par l'éditeur. Freddie, qui reste interloqué devant le vide du discours, tabasse l'éditeur comme un ultime sursaut et s'enfuit ensuite. Magnifique séparation en plein désert. Dodd part dans un sens pour revenir ; Freddie fonce dans l'autre sens pour ne plus revenir avant longtemps, laissant Dodd errer dans la nuit.

L'épisode lugubre de Londres confirme s'il en était besoin cet échec. Elizabeth première fan de son père, n'a pas été guérie par La cause. Elle est en chimio. L'explication d'une première rencontre ne convainc pas Freddie qui préfère partir et Dodd doit reconnaître que son dernier remède miracle ne peut sauver Freddie que sa femme avait déjà jugé irrécupérable. In fine, Freddie montrera que la cause est juste bonne à amuser une femme après l'amour.

Condenser trois ans en trois mois

En ridiculisant ainsi la méthode, Anderson est resté très proche de la vérité biographique de Hubbard. C'est en mai 1950 que celui-ci publie son livre, "Dianétique : La Science Moderne de la Santé Mentale" décrivant une technique de développement personnel. Avec la dianétique, Hubbard introduit le concept d'audition, une thérapie à deux personnes basée sur des questions-réponses et focalisée sur les souvenirs pénibles. D'après Hubbard, l'audition dianétique peut éliminer les problèmes émotionnels, guérir les maladies physiques et augmenter l'intelligence. Dans son introduction, Hubbard écrit "La création de la dianétique est une étape pour l'homme, comparable à la découverte du feu et est supérieure aux inventions de la roue et de l'arc". Dès juillet, le livre était un best-seller, et des "clubs de dianétique" se créèrent un peu partout dans le pays pour expérimenter la méthode d'audition qu'il décrivait. La "Hubbard Dianetic Research Foundation" est créée à Elizabeth au New Jersey. Cinq bureaux régionaux sont ouverts dans d'autres villes américaines avant la fin de l'année 1950. Hubbard abandonne la fondation en dénonçant certains de ses anciens associés comme "communistes". Le corps médical réagit rapidement, l'Association Psychiatrique Américaine exigeant que la dianétique soit soumise à une enquête scientifique.

Anderson a légèrement avancé la rédaction du livre. Il est ici publié dès mars. Pour mieux faire pressentir la dérive qui succèdera, il invente un second livre, Le sabre de la séparation écrit lui en mai. En 1952, Hubbard élargit la dianétique en une philosophie laïque qu'il appela "scientologie". En décembre 1953, il déclara la scientologie "religion" et fonde la première église de scientologie.

Les faits biographiques sont très peu modifiés et vont aussi dans le sens de la condensation. Ce n'est qu'en 1952 que, Hubbard épousa sa troisième épouse, Mary Sue Whipp dont il eut quatre enfants en six ans et en resta l'époux jusqu'à la fin de sa vie. Ici, Peggy a eu un premier enfant de lui et en attend un second alors qu'Elizabeth et Val sont issus des ex-femmes de Dodd que Peggy trouve médisantes envers son mari.

En 1954, Les Hubbard déménagent en Angleterre. Durant le reste des années cinquante, Ron Hubbard supervisa la croissance de l'organisation depuis un bureau à Londres. En 1959, il acheta le manoir de Saint Hill, situé près de la ville de East Grinstead au Sussex qui devint le quartier général mondial de la scientologie. À cette époque, la Grande-Bretagne tenta d'interdire l'accès du pays aux scientologues et en 1968, Ron Hubbard y fut déclaré "étranger indésirable". Hubbard retourna aux États-Unis vers le milieu des années 1970, vécut en Floride pendant un moment puis au Canada et mourut en 1986 sans avoir fait la moindre apparition en public dans ses cinq dernières années.

L'échec d'une amitié qui concilierait pulsions et idéal.

PTA ne se contente pas de condenser sur trois mois l'espace biographique. Il matérialise sous les traits de Freddie les pulsions que Dodd parvient difficilement à cacher en se réfugiant dans sa religion. Si la cause est un échec c'est qu'elle ne parvient pas à réconcilier idéal et pulsions, celles-ci étant incarnées ici magnifiquement par Freddie.

Celui-ci est un personnage en constante souffrance, préparant d'ignobles mixtures alcoolisées dans la torpille du porte-avions, dans son laboratoire de photographie, dans une cabane de Salinas, sur le bateau de Dodd. Il ne s'aime pas comme l'indique, dès l'ouverture du film, sa tentative de se couper la main avec la machette avec l'histoire masochiste des morpions. Il se complait dans un comportement animal. S'il renonce à Doris en s'engageant comme marin pour Shanghai entre 1946 et 1949, c'est probablement qu'il a conscience de n'être pas à la hauteur de cet amour idéal auquel il aspire. Il est en tout point opposé au grand rêve lisse de consommation qui s'ouvre au lendemain de la seconde guerre mondiale et auquel il tente de se conformer en devenant photographe. Ce rêve américain est figuré par la succession des clichés d'Américains que Freddie prend en photo puis, immédiatement après, par le magnifique plan-séquence débutant sur un gros-plan du visage de Martha en contre-plongée sous les néons puis la suivant, déambulant dans le magasin où elle fait son métier de mannequin-vendeuse pour finir par rejoindre l'espace photo où officie Freddie.

Freddie comme double de Dodd est mis en scène dans la séquence de la prison où sont cadrées les deux cellules jumelles de la prison. Du côté droit, Dodd reste imperturbable. Du côté gauche, Freddie s'agite en tous sens, se démène et fait du bruit. D'un côte, Dodd pisse sagement dans la latrine. De l'autre Freddie la détruit à coups de pieds. Difficile de faire plus explicite sur les deux faces du personnage : Dodd s'impose une attitude guidée par la conscience alors que, de l'autre, les pulsions se déchaînent. Lorsque Dodd part déterrer ce qui lui servira à élaborer son deuxième livre, il est suivi par Freddie qui semble agir comme son double. Agité et actif pour celui-ci, "la cause" se révèle un échec ne le conduisant qu'à se détacher de plus en plus profondément du discours de son maître tout en compensant par une relation de plus en plus physique de défense de celui-ci (tomate lancée puis agression de John More, agression des policiers, agression de l'éditeur).

The master raconte l'histoire d'une amitié impossible. Dodd est en proie aux mêmes pulsions que Freddie : la gnole, le sexe, la vitesse, le rire. Il le défend encore alors que toute la famille s'est liguée contre lui. De son côté, Freddie croit encore à une amitié possible après sa fuite : l'appel de Dodd est monté en parallèle avec Casper the ghost friend (1945). Lorsque Dodd replace son amitié sur le terrain de La cause et tente de faire croire à une rencontre dans une vie antérieure, Freddie s'en va. Le bouillonnement des pulsions, ce plan de mer venant par trois fois rythmer le film, est finalement le seul maitre de Freddie. En s'allongeant contre la figure de sable, il se repose sur une philosophie fragile mais plus solide que le carcan de la théorie.

Jean-Luc Lacuve le 12/01/2012.

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