Alfred Stieglitz |
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(1864-1946)
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Photo-Secession |
Alfred Stieglitz fut l'une des premières personnalités à élever la photographie au rang d'œuvre d'art, organisant des expositions et lançant des revues uniquement sur ce médium.
Equivalent | 1925 | Paris, Musée d'Orsay |
Fils d'immigrés allemands, Stieglitz est né en 1864 et passe son enfance à New York où ses parents possèdent une maison. En 1882, son père décide de vendre la prospère entreprise de confection qu'il a créée pour emmener sa famille vivre en Europe. C'est donc à Berlin, où il poursuit des études d'ingénieur, que Stieglitz découvre et se prend de passion pour la photographie en 1883.
Déterminé et perfectionniste, il met tout en oeuvre, allant jusqu'à suivre des cours de chimie, pour en maîtriser parfaitement tous les aspects techniques.
Stieglitz fait alors partie du mouvement pictorialiste, né en Angleterre dans les années 1880 et qui proclame le caractère artistique de la photographie. Au sein du pictorialisme, deux principaux courants se distinguent. Le premier défend une photographie qui imite la peinture et la gravure par des manipulations de l'image ou par le choix de thèmes imaginaires ou mythologiques. Le second prône une version naturaliste de la photographie.
C'est dans ce dernier que s'inscrit Stieglitz. Il ancre ses sujets dans le réel, car selon lui, le caractère artistique réside dans le regard que l'opérateur porte sur le monde.
En Europe Stieglitz fait paraître des articles, participe à des concours, expose et reçoit de nombreux prix. Lorsqu'il retourne vivre à New York en 1890, il est une figure incontournable des cercles pictorialistes et l'expérience acquise lui permet de devenir rapidement une des personnalités marquantes de la vie culturelle new-yorkaise.
De retour à New York, Stieglitz réalise de nombreuses vues de la ville. Afin d'adoucir la mise au point, il agrandit et recadre un internégatif et utilise pour le tirage un papier gros grains, procédé cher à l'esthétique pictorialiste.
En 1896, il participe à la fondation du Camera Club de New York avant de prendre l'année suivante la direction de Camera Notes, la revue du club.
En 1902 il fonde le groupe Photo-Secession, entouré notamment de Clarence White, Gertrude Käsebier et Edward Steichen, trois des photographes pictorialistes les plus doués des Etats Unis. Photo-Secession s'inspire du modèle des mouvements sécessionnistes munichois et viennois.
Le groupe a pour ambition de faire connaître et évoluer la photographie pictorialiste, de rassembler les Américains qui pratiquent ou qui s'intéressent aux arts, d'organiser des expositions qui ne soient pas forcément réservées aux membres de Photo-Secession.
En 1903 paraît le premier numéro de Camera Work, revue luxueuse créée par Stieglitz afin d'assurer la diffusion des oeuvres du groupe. Camera Work se caractérise par son ouverture aux autres formes d'art, littérature, musique, arts plastiques contemporains, et par l'extrême attention accordée à la qualité des reproductions, réalisées à l'aide de la photogravure. Camera Work se tourne délibérément vers l'avant-garde européenne.
En 1905, sont ouvertes à New York The Little Galleries of Photo-Secession qui vont vite devenir célèbres auprès de intellectuels et des artistes comme un laboratoire de l'art moderne.
Le petit espace d'exposition que constituent The Little Galleries of Photo-Secession, bientôt surnommées "291" en référence au numéro de l'immeuble qui les accueille sur la 5e avenue, s'impose comme un lieu culturel incontournable dans un New York en pleine mutation. La ville s'affirme progressivement comme le berceau de l'art moderne américain et devient un pôle d'attraction pour les artistes européens.
L'orientation de la galerie, qui a commencé par montrer de la photographie, évolue dès 1908. En janvier, Stieglitz expose des dessins de Rodin : de puissantes études de figures nues qui marquent les esprits. Le public de "291" peut ensuite découvrir Matisse, que Stieglitz parvient à faire apprécier à New York après trois expositions, ou encore Cézanne, dont l'influence est notable chez de jeunes peintres américains que Stieglitz expose également.
A cette époque, Steichen joue un rôle prépondérant dans l'activité de la galerie "291". C'est grâce à sa présence en France de 1908 jusqu'à la guerre et à son activité de conseiller et d'impresario que se nouent des contacts privilégiés entre l'avant-garde européenne et "291". Il obtient les prêts pour les expositions.
Les expositions programmées entre 1908 et 1910 reflètent la conviction de Stieglitz et de Steichen qu'il était nécessaire de faire alterner l'avant-garde avec des oeuvres plus classiques, et la photographie avec les autres arts. Ce rapprochement interdisciplinaire novateur remet en cause la hiérarchie établie en instaurant la parité entre la photographie et les arts traditionnels.
"291" remplit alors pleinement le rôle de laboratoire voulu par Stieglitz. Les expositions permettent d'ouvrir le débat sur les voies nouvelles que l'art doit emprunter. Ainsi l'idée que la photographie ne doit pas chercher à imiter la peinture et doit trouver sa propre identité est discutée par des artistes et des critiques liès à "291".
En 1910, Stieglitz organise à l'Albright Art Gallery de Buffalo une importante exposition internationale pictorialiste. Celle-ci connaît un grand succès et plusieurs musées y font l'acquisition d'oeuvres du groupe Photo-Secession.
Stieglitz voit ainsi récompensé son combat pour la reconnaissance artistique de la photographie.En février-mars 1913, se tient à New York l'Armory show, une grande foire d'art contemporain très éloignée de la démarche de Stieglitz. Il s'agit d'un événement de grande envergure, ouvertement commercial mais dont la photographie est absente. Aussi, Stieglitz expose-t-il au même moment ses propres photographies à la galerie "291". Il expose ensuite Picabia, le seul peintre français venu présenter ses oeuvres à l'Armory Show. Il s'agit de compositions abstraites qui lui sont inspirées New York.
Après l'Armory Show, le marché de l'art moderne aux Etats Unis prend son essor.Edward Steichen participe à l'organisation de l'exposition Brancusi en 1914.
Celles présentant de l'art africain en 1914 et Picasso-Braque en 1914-1915 sont organisées par Marius De Zayas, un dessinateur mexicain qui a exposé ses caricatures à "291" dès 1909. Stieglitz est également conseillé par Paul Haviland, un jeune industriel français, Agnes Meyer, une journaliste et enfin Francis Picabia. Tous souhaitent insuffler une dynamique nouvelle à la galerie et reprochent à Stieglitz un certain immobilisme.
Pour donner une nouvelle vitalité à "291", les collaborateurs de Stieglitz proposent de créer une nouvelle revue et d'ouvrir une seconde galerie, conçue comme la succursale commerciale de "291". Celui-ci donne son accord pour les deux projets.
Inspirée par la publication d'Apollinaire Soirées de Paris et financée par Stieglitz, la revue 291 paraît de mars 1915 à février 1916. Elle se substitue à Camera Work durant cette période. Elle diffère radicalement de cette dernière, en particulier par son esthétique et son ton satirique.
Le 7 octobre 1915 ouvre la Modern Gallery, gérée par De Zayas, qui organise des expositions importantes, sur le cubisme notamment. Mais elle doit fermer ses portes en 1918.
Malgré les difficultés financières, Stieglitz parvient à maintenir le "291" en activité jusqu'au printemps 1917.
Quelques semaines avant la fermeture de la galerie "291", en mai 1917, Stieglitz démontre que son esprit provocateur demeure intact. Il expose Fountain de Marcel Duchamp, un urinoir, présenté anonymement, qui venait d'être refusé à l'exposition de la Society of Independent Artists dont Duchamp est l'un des fondateurs. Mais dorénavant, et plus encore après la guerre, Stieglitz s'emploie à soutenir les artistes américains, en particulier Paul Strand et la jeune peintre Georgia O'Keeffe avec laquelle il entretient une relation amoureuse à partir de 1918.
C'est finalement la première guerre mondiale qui est fatale à la galerie "291".
Stieglitz doit faire face à des problèmes d'approvisionnement et ne peut plus compter sur le soutien financier de sa femme qui voit disparaître, à cause du conflit, une large part de sa fortune. La dernière exposition est consacrée à Georgia O'Keeffe.
La parution de Camera Work s'interrompt la même année et le groupe Photo-Secession, déjà moribond depuis 1910, achève de se disperser.
Ce que l'on désigne par le "cercle de Stieglitz", c'est-à-dire les artistes qui gravitent autour de lui et auxquels il apporte son soutien, évolue et est moins ouvert sur le monde extérieur au cours de cette période. Le nouveau cercle est composé de quelques écrivains et d'un petit groupe d'artistes, exclusivement américains, qui avaient avait déjà exposé à "291". Stieglitz les appelle les "six plus x". Il s'agit de lui-même, Arthur Dove, Marsden Hartley, John Marin, Paul Strand et Georgia O'Keeffe. Le septième membre est variable mais il s'agit le plus souvent de Charles Demuth. Le groupe se fixe des objectifs esthétiques et moraux : faire émerger un art purement américain, débarrassé des influences européennes tout en luttant contre l'esprit puritain et matérialiste qui menace leur pays.
Afin de promouvoir les oeuvres des artistes appartenant à ce nouveau cercle, Stieglitz renoue avec ses activités de galeriste. Il occupe tout d'abord un espace aux Anderson Galleries (1921-1925) puis ouvre The Intimate Gallery (1925-1929) et enfin An American Place (1929-1946).
Stieglitz expose également ses propres photographies. Il puise une nouvelle inspiration dans sa relation avec Georgia O'Keeffe et son art connaît, après la guerre, un véritable renouveau. Entre 1918 et 1937, il réalise d'elle un portrait analytique. Le visage et les différentes parties du corps de sa compagne y sont détaillés dans une libre expression du désir. La démarche est totalement originale par sa forme, une succession de gros plans et par l'érotisme qui s'en dégage.
Par la suite, l'art de Stieglitz gagne encore en intériorité. Dans le parc de sa propriété familiale de Lake George, il redécouvre la nature qu'il photographie par fragments. Il entame ensuite une série de prises de vues de nuages qu'il nomme Equivalents car il désire montrer "un équivalent extérieur de ce qui a déjà pris forme en moi".
A partir de 1927, les gratte-ciel de New York lui fournissent le sujet d'une nouvelle série. Il réalise ses prises de vue depuis sa chambre de l'hôtel Shelton, le plus haut immeuble de New York à l'époque, et depuis les fenêtres de la galerie An American Place. La ville animée de sa période pictorialiste laisse alors la place à un univers urbain géométrique, glacial et inhumain.