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(1864–1926)
Romantisme

Charles Marion Russell est un des plus grands peintres de l'ouest américain. Russell a peint plus de 2000 tableaux ou aquarelles représentant les cow-boys, les Indiens et les paysages du Far West de la fin du XIXe siècle.

Lewis et Clark sur la rivière Columbia 1905 Fort Worth (Texas)

Charles Marion Russell naît en 1864 à Saint Louis, ville au confluent du Missouri et du Mississipi alors considérée comme la porte de l’Ouest. Sa famille très conservatrice nourrit l’espoir que le jeune Charlie reprendra l’affaire familiale de charbons et de briques. Celui-ci se montre à l’évidence peu disposé à poursuivre des études et ne rêve que d’Indiens, envisageant à cette époque de les combattre comme son grand oncle Will Bent.

Dans le secret espoir qu’une expérience vécue le guérirait de ses visons romanesques de l’Ouest, son père lui offre comme cadeau d’anniversaire pour ses seize ans un voyage dans le Montana. En mars 1880 il part en compagnie d’un ami de son père qui possède un ranch de moutons dans le bassin de la rivière Judith. Charlie et son mentor prennent la ligne de chemin de fer, l’Union Pacific, jusqu’au terminus, situé dans l’Utah, aux confins de l’Idaho et du Montana, et gagnent ensuite Helena par la diligence. Bien loin de se convertir à l’orthodoxie familiale, Russell est subjugué ; il a trouvé sa patrie d’adoption et ne retournera à Saint Louis que pour de brefs séjours. La vie est pourtant bien rude pour l’apprenti cow-boy qui doit gravir péniblement tous les degrés d’une hiérarchie aussi réelle qu’inattendue dans ce monde de la wild life. Après des débuts consacrés à des tâches aussi peu gratifiantes que la tonte des moutons, il sollicite un emploi de garçon d’écurie, sans succès du reste, étant précédé d’une solide réputation de bon à rien et de paresseux dont on retrouve un écho dans son œuvre. Il rencontre alors un homme extraordinaire en mesure de le comprendre avec qui il partage durant deux ans le feu et la subsistance, Jack Hoover. Au cours des années suivantes, il travaille comme gardien de chevaux de nuit (wrangler). Cet emploi est alors considéré comme le plus bas dans la hiérarchie des cowboys. Le jeune Russell n’en doit pas moins assumer la responsabilité de trois cents montures et de leurs harnais.

Il passe l’hiver 1888-1889 parmi les Indiens de la réserve d’Alberta au Canada. Il vit sous la tente, apprend leur langue, leur histoire, se familiarise avec leurs coutumes. Les Indiens le considèrent comme leur frère et il est même encouragé par le chef à prendre femme parmi eux. Son regard se transforme et sa sympathie s’accroît pour un peuple et un mode de vie promis à une disparition très prochaine. Les Piegans et les Blackfeet habitaient les vastes territoires d’Alberta, du Montana et des plaines du nord-ouest. Les Blackfeet étaient le type même de la tribu vivant exclusivement du bison, depuis la nourriture jusqu’au cuir pour fabriquer les teepees. Dans la première moitié du XIXe siècle, ils étaient réputés pour leur agressivité ; cavaliers accomplis, ils constituaient la force militaire la plus redoutable des plaines du nord-ouest. La proximité de Russell avec les Indiens perturbe grandement les propriétaires des troupeaux, mais ce sera sans effet sur le respect de Russell pour les Indiens des plaines. La nostalgie qu’ils lui inspirent sera la pierre angulaire de son art jusqu’à la fin de sa vie. Bien que ce ne fût pas le but premier de ce voyage initiatique, Russell ne cesse de peindre et de dessiner. Dans les tribulations de sa vie de cow-boy, sa boite d’aquarelle ne le quitte jamais et chaque moment de détente est mis à profit. Bien que largement autodidacte (il se vante de n’avoir reçu que trois leçons de dessin), il devient vite un brillant dessinateur et un peintre prolifique. Il se veut témoin et ne se soucie guère de chercher un modèle ou une référence chez les maîtres de la tradition européenne. Le sujet induit la forme et celle-ci sera pour lui résolument américaine, un mélange de fiction et de réalité où l’Indien, le cow-boy, la violence de la frontier life et la nostalgie de l’âge d’or se combinent pour former le mythe de l’Ouest. « Je ne vois pas comment un Hollandais ou un Français pourrait m’apprendre à peindre mon propre pays » (I can’t see how a Dutch man or a French man can teach how to paint things of my own country). Cet état d’esprit caractéristique des artistes de l’Ouest tardifs que les Américains qualifient de parochialism (esprit de clocher) doit être nuancé. S’il n’a pas reçu de formation académique à proprement parler, Russell s’est très certainement nourri, dans son enfance à Saint Louis, de la tradition picturale établie dès les années trente par les peintres qui ont séjourné dans cette ville, Catlin et Wimar en particulier, pour lesquels il a une grande admiration. À ses débuts, il vend ses peintures cinq ou dix dollars à ses compagnons de ranch.

En 1881, le Harper’s Weekly publie Sur le vif, représentant deux cow-boys aux prises avec une famille d’Indiens en train de dépecer un boeuf appartenant à un Blanc. En 1890, quatorze de ses premières huiles sont publiées dans un petit recueil Studies of the Western Life. Cette année-là il reçoit commande d’un décor de porte pour la banque de Lewiston (Montana). Ce n’est qu’en 1896 qu’il se consacre entièrement à sa carrière d’artiste. Il se marie et sa jeune épouse, de quinze ans sa cadette, le persuade de monter un atelier et de rechercher des commandes. Nancy Cooper, qui a alors tout juste seize ans, s’institue agent artistique et assumera son rôle jusqu’à sa mort en 1942, avec une détermination et un sens aigu des affaires, dans la grande tradition des pionnières du nouveau monde. En 1908 elle renégocie avec Brown et Bigelow le contrat autorisant la reproduction de ses œuvres sur les calendriers, ce qui lui vaut un revenu annuel de trois mille dollars. Elle veille par ailleurs à maintenir pour les œuvres de son mari des prix jugés insensés par Charlie lui-même. Sa popularité comme illustrateur va croissant et il est submergé de commandes.

En 1911 une exposition intitulée The West that has Passed, comprenant treize toiles, douze aquarelles et six bronzes, est présentée à New York. Le critique Arthur Hoeber considère que l’œuvre de Russell, inégale, est plutôt celle d’un illustrateur que celle d’un peintre. Russell reconnaît que la critique est fondée, d’autant que depuis la mort de Remington il est considéré comme le plus grand illustrateur des États-Unis et le plus grand chroniqueur de l’Ouest. C’est néanmoins le début de la grande notoriété. Il exécute en 1912, pour la Montana State House of Representatives, un grand décor mural (Lewis and Clark Meeting the Flathead Indians at Ross Hole) commandé l’année précédente. Il expose au Canada en 1912 et 1913, à Londres en 1914, en 1915-1916 à Chicago, New York, San Francisco, Pittsburgh, puis Chicago et New York de nouveau. Les Russell adoptent un fils en 1916 et durant trois ans Russell marque une pause. Dans les peintures de sa maturité, Russell adopte un schéma de composition invariable, inspiré de la pyramide traditionnelle qu’il inverse pour ouvrir très largement le lointain et diriger le regard du spectateur vers le centre de la composition. L’effet panoramique est accru par le format allongé de ses toiles, qui s’avère particulièrement bien adapté au rendu des grands espaces des plaines du Montana. Par ailleurs, il témoigne d’un grand sens de la dramaturgie, en limitant le nombre des personnages représentés aux seuls acteurs indispensables à la compréhension de l’action, qu’il campe au centre de la toile. Il en résulte une force et un dynamisme irrésistible, souligné par une lumière vibrante. Sa palette très intense s’éclaircit au fil des ans, l’usage généreux qu’il fait du blanc mêlé aux autres couleurs n’altérant en rien leur éclat. Le bison est l’un des thèmes de prédilection des peintres de l’Ouest, en troupeaux innombrables aux temps bénis de l’âge d’or ou pris en chasse, comme dans Spearing a Buffalo par un cavalier muni d’une lance. Ce mode de chasse traditionnel, antérieur à la venue de l’homme blanc dans les plaines américaines et à la destruction massive des millions de bisons qui les peuplaient alors, était pratiqué par les Indiens dans le seul but d’assurer leur subsistance. Il est à l’époque de Russell totalement révolu et sans doute faut-il voir là un hommage de l’artiste à la sagesse de ses frères d’adoption. Russell reprendra ce thème à maintes reprises.

Lassos et chevaux agiles sont plus surs que le plomb s’inspire d’un fait réel survenu en 1904 dans la région de la Milk River, au nord-est du Montana. Un wrangler (gardien de chevaux de nuit), véritable fumiste connu pour le nombre de chevaux qu’il avait laissé échapper, constata un beau matin la disparition de quarante montures. Il tenta de se justifier en arguant un mouvement de panique parmi les chevaux semé par un élément inconnu. Bien évidemment personne n’y ajouta foi. Les cow-boys partirent alors en battue et repérèrent les chevaux effrayés et courant en tous sens exactement comme le wrangler l’avait raconté. Les trois cow-boys encerclèrent les chevaux d’aussi près que possible et s’aperçurent qu’ils étaient pris en chasse par un gros ours. Ils déroulèrent leur lasso et le jetèrent devant l’ours qui se dressa sur ses pattes arrière pour leur faire front, grognant et menaçant. On voit sur la gauche le plus jeune « Shufeldt Kid », qui fut le premier à jeter son lasso et manqua son coup de fort peu comme ses camarades Joe Reynolds et Frank Howes. Mais alors que l’ours tentait une échappée, Reynolds parvint à le capturer par une patte. L’effet est saisissant. La rapidité de l’action est rendue par les boucles des lassos qui tournoient et par la simultanéité du lancer des trois cow-boys. Ce temps de l’épopée n’est pas la seule entorse que Russell fait à la réalité. L’ours est manifestement un grizzly, alors que la tradition rapporte – l’histoire avait en son temps fait le tour des camps – qu’il s’agissait en fait d’une femelle à la robe cannelle. Par le choix du grizzly, animal emblématique des Montagnes Rocheuses, l’anecdote entre dans la mythologie.

La carrière de sculpteur de Russell commence véritablement en 1903. À l’occasion d’un voyage dans sa famille à Saint Louis, il présente à l’exposition du centenaire de la Lousiana Purchase des peintures et des aquarelles. Le succès est colossal. La section de sculpture, à laquelle participent des sculpteurs comme Quincy Ward, marque la reconnaissance de la sculpture américaine en tant qu’art. Russell est particulièrement impressionné par les sculptures d’Edward Kemeys, considéré comme le pionnier de la sculpture à thèmes wild life et dont le style s’apparente aux sculpteurs animaliers français. Russell pratiquait depuis longtemps le modelage. Ses figurines en terre lui servait à la mise en place de ses compositions, ce qui lui évitait de recourir au modèle vivant, ayant toujours élaboré ses œuvres de manière intuitive, sans recourir aux esquisses ou aux dessins préparatoires. Sa technique picturale doit beaucoup à sa pratique de sculpteur et la justesse de sa perception du mouvement lui est sans nul doute imputable. Il présente sa première sculpture, Smoking up, à New York en 1904. Son corpus compte quarante-six sujets dont il ne fut fondu qu’un très petit nombre d’exemplaires du vivant de l’artiste, toujours selon la technique de la fonte à la cire perdue. Le plâtre original des Traces de l’ennemi (The Enemy’s Tracks) est réalisé en 1920 et le bronze tiré à seize exemplaires en 1929 par la California Art Bronze foundry à Los Angeles, qui avait la confiance de Nancy. La posture du cavalier lui permet de rendre avec beaucoup de subtilité la musculature du dos, à laquelle répondent les jambes nerveuses du mustang, ce magnifique cheval sauvage des plaines auquel il rend ici un vibrant hommage. Le soin apporté au traitement du harnachement du guerrier contribue à la sacralisation du sujet et par contraste le synthétisme des formes n’en est que plus spectaculaire. Les Bluffeurs montrent un bison et un grizzly prêts à se livrer à un combat acharné.

En 1905 l’artiste avait déjà abordé ce sujet dans un lavis rehaussé de gouache (Fort worth, Amon Carter Museum). Ce dessin était destiné à illustrer les souvenirs de William A. Allen, Adventures with Indians and Game or twenty years in the Rocky Mountains. Russell se réfère là encore à une époque révolue où le bison n’avait à redouter comme prédateurs que le loup et le grizzly. Le modèle en terre des Bluffeurs est exécuté en 1924 et tiré à six exemplaires par la Roman Bronze Works Foundry de New York. Russell y fait montre de sa connaissance approfondie de la morphologie des animaux, qu’il s’agisse de la structure du squelette ou de la masse musculaire. Il y ajoute sa touche humoristique personnelle, sensible dans le crochet que décrit la queue du bison au comble de la fureur combative et dans le titre. Dans son album Georges Sack explicite le titre en indiquant que ces deux animaux étant de force équivalente l’issue du combat ne peut qu’être incertaine, c’est pourquoi ils se contentent de manifester leurs intentions belliqueuses en grognant et en soufflant en direction de l’adversaire. Will Rogers a été modelé en mars-avril 1926, au cours de son dernier séjour en Californie, et tiré à neuf exemplaires vers 1928 par la Roman Bronze Works Foundry. Will Rogers (1879-1935), originaire de l’Oklahoma, était un artiste de cabaret et de cinéma qui fit toute sa carrière en exploitant les différentes facettes du personnage du cow-boy. Il raconte ainsi sa première rencontre avec Russell en 1908 : « Charlie essayait de vendre quelques peintures et moi quelques blagues. » Il s’ensuit une longue et fidèle amitié, les deux hommes exploitant le même fonds de commerce, nourrissant le même goût pour l’anecdote pittoresque et la plaisanterie bon enfant et tous deux vouant un véritable culte à l’Ouest that has passed, Rogers éprouvant par ailleurs une sincère admiration pour le talent de peintre de Russell et sa connaissance irréprochable de l’Ouest. Le comédien cow-boy, la mèche tombante, le chapeau légèrement incliné, tourne un visage gouailleur en direction d’un public imaginaire, tandis que sa monture, à la parade, pointe du sabot en avant, dernier tour de piste avant que le rideau ne tombe sur un monde définitivement révolu. Si pour Nancy l’art était a business, Charlie Russell ne composa jamais avec ses convictions les plus profondes. Le passé national constitue l’essence de son œuvre qui, nonobstant une certaine naïveté, évite toujours les anachronismes et la recherche gratuite du pittoresque, qui entachent trop souvent les reconstitutions historiques. Il en résulte un caractère troublant d’authenticité. Ennemi du progrès et de la modernité, il dut néanmoins, pour honorer sa dernière commande – un décor mural payé par le magnat du pétrole californien Edward L. Doheny au prix faramineux de trente mille dollars –, y introduire quelques petits derricks. Atteint d’un goitre en 1923, sa santé n’avait cessé de se dégrader. Trop épuisé pour travailler à fresque, il exécute des toiles marouflées dans sa résidence du Montana, à Great Falls au printemps 1926, peu de temps avant sa mort, qui survient en octobre de la même année.

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