La traduction de l'expression 'Et in Arcadia ego est "Même en Arcadie, je suis là". L'interprétation habituelle est que "je" se réfère à la mort et "Arcadie" à une terre utopique.
Dans l'Antiquité, de nombreux Grecs vivaient dans des villes proches de la mer et menaient une vie urbaine. Seuls les Arcadiens, au milieu du Péloponnèse, manquaient de villes, étaient loin de la mer et menaient une vie de berger. Ainsi, Arcadia symbolisait la vie pure, rurale et idyllique, loin de la ville.
L'expression exprime, de façon elliptique, les limites du puissant sentiment humaniste : "Même en Arcadie, moi, la mort, j'existe". C'est-à-dire, même l'évasion dans le monde pastorale de l'Arcadie ne protège pas de la mort.
Sources littéraires et iconographiques du tableau
La première apparition d'une tombe avec une inscription commémorative au milieu des décors idylliques d'Arcadia apparaît à la Cinquième églogue des Bucoliques de Virgile, marquée par la mort de Daphnis, un berger et poète. L'idée est reprise dans le cercle de Laurent de Médicis dans les années 1460 et 1470, à la Renaissance florentine. Dans son œuvre pastorale Arcadia (1504), Jacopo Sannazaro définit la perception de l’Arcadie au début de la modernité comme un monde perdu de bonheur idyllique.
La première représentation picturale du thème familier du memento mori, popularisé à Venise au XVIe siècle, rendu plus concret et plus vivant par l'inscription ET IN ARCADIA EGO, est la version du Guerchin, peinte en 1622 (Galerie nationale d'art Antica, Rome), dans laquelle l'inscription tire sa force de la présence visible d'un crâne au premier plan, sous lequel sont gravés ces mots.
Une première version de ce thème est peinte par Poussin en 1627 (actuellement dans la maison de Chatsworth). Le style, nettement plus baroque que la version ultérieure, caractérise les premiers travaux de Poussin. Dans le tableau de Chatsworth, les bergers découvrent la tombe à moitié cachée et envahie par la végétation et lisent l'inscription avec des expressions étonnées. La pose de la bergère, debout à gauche, est sexuellement suggestive, très différente de son homologue austère dans la dernière version. Celle-ci est composée de façon plus géométrique et les personnages sont beaucoup plus contemplatifs. La bergère se conforme aux conventions du "profil grec" classique.
Interprétations du tableau
Dans cette version ultérieure, tous les effets de surprise ont été supprimés. Au lieu de cela, les bergers semblent contempler le tombeau. Ils déchiffrent l'inscription d'un air de curiosité mélancolique. Le crâne a disparu.
Le biographe de Poussin, André Félibien, a interprété la phrase comme signifiant "Moi aussi, j'ai vécu en Arcadie" signifiant que "la personne enterrée dans cette tombe vivait en Arcadie"; en d'autres termes, que la personne a elle aussi profité des plaisirs de la vie sur terre. C'est une modification notable par rapport à la traduction latine.
Dans son célèbre essai, L'oeuvre d'art et ses significations (1955 et 1969 pour la traduction française), Erwin Panofsky démontre dans son dernier chapitre ("Et in arcadia ego": Poussin et la tradition élégiaque, p.278 à 302) que la traduction de Félibien est grammaticalement fausse mais iconologiquement juste, moderne. Il se dégage du tableau un profond sentiment mélancolique; un contraste ironique entre l’ombre de la mort et la gaieté habituelle que les nymphes et les bergers de l’ancienne Arcadie incarnaient.
Panofsky laisse ouvertes d'autres interprétations. Selon Pline l'Ancien (Histoire naturelle, XXXV 5, 15), l'art de la peinture est découvert en Arcadie grâce à l'ombre d'un berger qui serait la première image de l'histoire de l'art. Ici, Poussin ne se disperse pas en racontant une histoire et se concentre sur cette scène totalement statique. Les tons sont durs et froids, et les personnages ont des poses sculpturales. La prétention de la mort de gouverner même Arcadia est contestée par l'art (symbolisé par la jeune fille vêtue de façon magnifique) et l'ombre du berger. Face à la mort, le devoir de l’art pourrait être de rappeler ses proches absents, de consoler ses angoisses, d’évoquer et de réconcilier des émotions contradictoires, de surmonter son isolement et de faciliter l’expression de l’inimaginable.