Le peintre, alors installé à Greenwich Village après plusieurs voyages en Europe, peint ainsi ses souvenirs de Paris. La scène se situe sur la terrasse du parc de Saint Cloud, où Hopper allait souvent, et qui surplombe la vallée de la Seine : d’où la balustrade à l’arrière.
Féru de peinture française, Hopper l’était aussi de littérature. Ce tableau tire son titre d’un vers de Rimbaud : « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers ». Francophile, le peintre américain maîtrisait et admirait la langue de Molière. Pour séduire sa future femme, il lui récite des poèmes de Verlaine
De ses séjours à Paris, il a en outre retenu la leçon des grands maîtres. Le sujet de la toile renvoie à L’atelier du peintre (1854-1855) de Courbet, que le génie d’Ornans avait souhaité présenter dans son titre comme « Allégorie réelle ». Hopper peut admirer l’œuvre réaliste lors de sa visite du Salon d’automne en 1906. Dans Soir bleu, il s’en inspire sur le fond pour transcrire, sous une forme symbolique, sa place, pierrot lunaire, dans la société française qu'il visitait alors.
Dans son tableau, Courbet donne à voir, autour de l’artiste, un certain nombre de figures résumant les différentes composantes de la société française du milieu du XIXe siècle. Hopper reprend à son compte ce principe. Au centre, l’artiste portant béret, à côté d’un militaire en uniforme à épaulettes. En face, un clown blanc. Dans une lettre envoyée à sa mère en mai 1907, Hopper fait allusion à ce dernier, croisé au carnaval de la mi-Carême. Pierrot lunaire, hommage possible au Gilles de Watteau, admiré au Louvre. Debout, une fille de joie, décolleté plongeant, outrageusement maquillée. A droite, un couple bourgeois toise la scène. Étonnement ? Mépris ? Métaphore du jugement social ? A gauche, un proxénète semble tout à son affaire, jouissant de la situation. De ce « maquereau », on connaît un dessin préparatoire. Allégorie du profit, du calcul, de la cupidité ?
Cette scène de café parisien aux lampions, théâtrale et mystérieuse, fut rejetée par la critique la seule fois où elle fut exposée au côté d’un tableau plus petit, New York Corner (1913), lors d’une exposition collective au Mac-Dowell Club, à New York, en 1915. Hopper en fut très affecté. Au point de ne plus jamais la montrer. Roulée à l’abri des regards, la toile Soir bleu ne fut retrouvée et identifiée qu’après sa mort.