Réalisé à la veille de son premier départ pour Tahiti, le Portrait de l'artiste au Christ jaune constitue un véritable manifeste. Il s'agit en réalité d'un portrait au triple visage, dans lequel l'artiste révèle différentes facettes de sa personnalité. Alors méconnu, incompris, abandonné par sa femme qui est rentrée au Danemark avec leurs enfants, Gauguin peine à obtenir une mission officielle pour s'établir dans les colonies.
Dans la figure centrale, le regard fixe que Gauguin adresse au spectateur exprime le poids de ses difficultés, mais également toute sa détermination à poursuivre son combat artistique. Il représente derrière lui deux autres de ses oeuvres, réalisées l'année précédente, qui se confrontent d'un point de vue esthétique et symbolique.
A gauche se trouve Le Christ jaune, image de la souffrance sublimée, auquel Gauguin prête ses propres traits. Mais le bras étendu par le Christ au-dessus de la tête du peintre évoque également un geste protecteur. Le jaune de ce tableau, couleur fétiche de l'artiste, s'oppose au rouge du Pot autoportrait en forme de tête de grotesque, posé à droite, sur une étagère. Ce pot anthropomorphe que Gauguin décrivait lui-même comme une "tête de Gauguin le sauvage" porte la trace du grand feu qui en a pétrifié la matière. Avec son masque grimaçant et sa facture primitive, il incarne les souffrances et le caractère sauvage de la personnalité de Gauguin.
Entre l'ange et la bête, entre synthétisme et primitivisme, Gauguin anticipe l'importance et la gravité de la grande aventure artistique et humaine qu'il s'apprête à vivre.