En 1506, Albrecht Dürer se trouve pour la seconde fois à Venise où il réside depuis un an et où il restera encore une année. Lors de son arrivée il n’est plus considéré comme un artiste médiocre mais plutôt comme un grand maître dans l’art de la peinture. Cette année même il peint un retable pour l’autel de l’église San Bartolomeo, qui a été commandé par la communauté allemande installée à Venise près du Fondaco dei Tedeschi, centre économique majeur de la communauté allemande.
La peinture est une commande du banquier Jacob Fugger
(chez qui Dürer est hébergé à Venise) qui
est à l'époque, en 1506, l'intermédiaire entre
l'empereur Maximilien et le pape Jules II au sujet du couronnement de
celui-là. Aussi, sur le panneau sont représentés
lempereur Maximilien et le pape Jules II en train de se faire
couronner de roses par la Vierge à l'Enfant.
La Vierge de la fête du rosaire est louvrage majeur du séjour
vénitien de Dürer. Il reflète l'appropriation des
techniques vénitiennes, visible essentiellement dans l'usage
de la couleur, mais conserve néanmoins des caractères
picturaux typiquement germaniques.
En dépit de la médiation de Fugger, lempereur ne sest jamais fait couronner par le pape Jules II. Dürer ne rencontre Maximilien, qui porte un vif intérêt pour les arts, qu'en 1512 lors dune visite à Nuremberg où il a été commissionné pour la première fois pour travailler aux gravures sur bois colossales de la voûte et du cortège triomphal. Le portrait des principaux personnages est fait, de toute évidence, de « seconde main » à partir de gravures ou portrait dont Dürer a pris connaissance.
Avant de peindre son tableau, Dürer a fait de nombreuses
études sur lanatomie, la géométrie, et les
mathématiques ce qui est caractéristique de l'humanisme
durant la Renaissance. Plus particulièrement, ce second voyage
vénitien est l'occasion d'améliorer son art de la nuance
et son usage de la perspective mathématique sous l'influence
de Giovanni Bellini. Il s'approprie aussi toutes les techniques italiennes
sur le panneau de bois.
On observe un approfondissement des détails que Dürer a
pris soin de bien représenter pour plus de réalisme. En
effet on va jusquà voir les ombres sur le tableau de la
Vierge de la fête du rosaire, contrairement aux icônes byzantines,
ce qui témoigne dune évolution dans la façon
de peindre et des techniques employées comme, par exemple, dans
le tableau La Vierge au buisson de roses de Martin Schongauer.
L'organisation est également plus prononcée autour d'un
triangle central rigide qui englobe les personnages principaux, dont
Marie de Nazareth est le sommet alors que la base est constituée
des personnages principaux, l'empereur Maximilien et le pape Jules II.
L'enfant Jésus, quant à lui est légèrement
excentré par rapport à laxe du tableau. Ces quatre
personnages sont représentés un peu plus grand que nature
et sont plus affinés que les autres personnages afin d'en marquer
l'importance.
La ligne d'horizon passe par le haut du bustier de Marie et donc par
le point de fuite qui est le bijou rouge que porte la Vierge, ce qui
attire le regard sur elle et donc sur les trois autres personnages.
Un axe de symétrie, dont l'axe passe par la couronne de Marie
et son bijou, est également présent dans le tableau.
Un personnage à la gauche de la Vierge trouble léquilibre
triangulaire du tableau. Il s'agit de saint Dominique de Guzmán,
promoteur du culte marial et de la dévotion du rosaire. Il est
peint de couleurs plus sombres, ce qui le fait ressortir. La dévotion
du rosaire s'est développée au XIIIe siècle sous
l'influence des dominicains et de nombreux tableaux de la Vierge du
Rosaire représentent celle-ci offrant une rose ou un chapelet
à Dominique de Guzmán, le fondateur de l'ordre.
Le peintre, Albrecht Dürer, s'est représenté lui
même, dans le coin supérieur droit aux pieds des montagnes
et d'un paysage typiquement allemand. Les détails de la colline
se fondent dans un flou atmosphérique. Notons ici que Dürer
fait preuve de peu de modestie quand on sait à quel point la
question de la verticalité est importante dans la peinture religieuse
de son temps : il s'est placé, dans la composition, à
la même hauteur que saint Dominique, soit légèrement
au-dessus de la Vierge Marie !
Aux côtés de l'artiste se tient vraisemblablement Leonhard
Vilt, fondateur de la Fraternité du Rosaire à Venise.
À l'extrême-droite, habillé de noir et tenant à
la main une équerre, se tient Hieronymus d'Augsburg, l'architecte
du nouveau Fondaco dei Tedeschi, le centre économique des Allemands
à Venise. Sur la gauche, en surplis et les mains jointes, Antonio
Soriano [2], patriarche de Venise et patron de léglise
San Bartolomeo et à ses côtés se tient Burkhard
von Speyer , l'aumônier de l'Eglise dont Dürer a réalisé
un portrait à la même période [4].
Des anges, chérubins et putti dont on connait une étude
préparatoire [5] figurent sur l'uvre et encadrent la Vierge
à l'enfant. Dürer s'est ici beaucoup inspiré du travail
de Giovanni Bellini.
La célébrité du tableau aiguillonne l'appétit
de l'insatiable collectionneur qu'est Rodolphe II du Saint-Empire qui
en fait l'acquisition en 1606 auprès de la communauté
allemande de Venise et qui le fait rejoindre ses collections accumulées
au château de Prague1.
Lors de la guerre de Trente Ans, la Vierge de la fête du rosaire
échappe de peu au pillage du château de Prague par les
troupes suédoises et saxonnes. En 1782, Joseph II du Saint-Empire
ordonne la vente aux enchères des collections du château
de Prague qui, demeure impériale mal-aimée des Habsbourg,
n'est alors guère plus qu'une caserne et un bâtiment administratif.
Plusieurs propriétaires se succèdent alors avant qu'en
1793 ne l'achètent les chanoines du monastère de Strahov
à Prague. L'état de l'uvre ne cesse d'empirer. L'abbé
du couvent, Jeroným Josef Zeidler, le donne à restaurer
à un peintre mineur, Johann Gruss (17901855), originaire
de Litomerice. Il repeint, entre 1839 et 1841, la tête de Marie
de Nazareth (une légende longtemps tenace veut qu'il prenne alors
pour modèle sa propre fille dont il admirait la beauté,
les recherches récentes ont cependant montré qu'il n'a
pas eu de fille), le corps de Jésus et des parties importantes
du tableau sévèrement endommagé. Toujours est-il
que cette restauration, même eu égard aux critères
du XIXe siècle, fort laxiste en la matière, est alors
durement critiquée.
En 1934, l'État tchécoslovaque en fait l'acquisition auprès
du couvent de Strahov, non sans de longues négociations préalables
et compliquées, pour en faire don aux collections de la Galerie
des amis patriotiques des arts, l'ancêtre de l'actuelle Galerie
nationale à Prague dans les collections de laquelle, elle se
trouve encore2.
À l'occasion du 500e anniversaire de la création de la
peinture, la Galerie nationale de Prague a organisé du 21 juin
au 1er octobre 2006 une exposition monothématique consacrée
à La Vierge de la fête du rosaire.