Eugène Delacroix reçoit en août 1833 dAdolphe Thiers, qui deviendra bientôt ministre de lIntérieur, sa première commande officielle, la décoration du salon du Roi au Palais Bourbon. L'année précédente son séjour décisif en Afrique du Nord lui révèle les effets de la lumière sur les couleurs et l'amène à changer sa palette et à équilibrer romantisme et classicisme.
Le choix de Thiers intervient « malgré les avis charitables de mes ennemis -comme l'écrit Delacroix dans ses souvenirs connus par citation- et même de mes amis qui lui disaient comme à l'envi que c'était me rendre un mauvais service, attendu que je n'entendais rien à la peinture monumentale et que je déshonorerais les murs que je peindrais. » Il déclenche le scepticisme de la critique : « [...] c'est un peintre aussi insouciant de sa gloire, aussi peu sûr de son uvre, que l'on choisit sur de telles ébauches, sur de simples indications de pensées, pour décorer une salle entière dans le palais de la Chambre des députés, c'est à un tel peintre que l'on confie une des plus grandes commandes de peinture monumentale qui ait lieu de nos jours. En vérité, la responsabilité est ici plus qu'engagée elle pourrait être bien compromise. »
Le montant de la commande, initialement fixé à 30 000 francs fut porté par la suite à 35 000 francs. Delacroix témoigne à Thiers sa reconnaissance : « Vous m'avez offert, par pure amitié pour moi, une de ces occasions décisives qui ouvrent à un artiste une carrière toute nouvelle et qui doivent l'agrandir nécessairement, si elles ne mettent à nu son impuissance. »
Le décor devait sinscrire dans les réaménagements conçus par Jules de Joly et achevés en 1832, la reconstruction de la salle des séances, autour de salles, dont le salon du Roi, et de la bibliothèque.
Cet ensemble est composé dun plafond,
avec une verrière centrale entourée de huit caissons (quatre
grands et quatre petits), de quatre frises situées au-dessus
des portes et fenêtres, et de huit pilastres. Il fut peint à
lhuile, sur toiles marouflées, et les frises à lhuile
et à la cire, directement sur le mur afin dobtenir une
matité plus proche de la détrempe. Les pilastres furent
peints eux aussi sur les murs, en adoptant la même technique,
mais en grisaille. Cette commande fut terminée au début
de 1838 et réalisée sans collaborateurs, excepté
des ornemanistes pour les décors dorés, en particulier
Charles Cicéri (1782-1868), peintre décorateur et aquarelliste,
qui se fit connaître au Salon de 1827, en exposant des aquarelles.
Dans les quatre caissons principaux, il a représenté quatre
figures allégoriques symbolisant pour lui, les forces vives de
lÉtat : la Justice, lAgriculture, lIndustrie
et le Commerce, et la Guerre. Les quatre plus petits, disposés
aux quatre angles de la pièce, entre les caissons principaux,
sont couverts de figures denfants, avec des attributs, comme La
chouette de Minerve pour la Sagesse, La massue dHercule pour la
Force, Le ciseau et le marteau pour les Arts.
Dans les trumeaux allongés, séparant les fenêtres
et les portes, ont été peints en grisaille, les principaux
fleuves de France la Loire, le Rhin, la Seine, le Rhône, la Garonne
et la Saône). LOcéan et la Méditerranée,
cadre naturel du pays, ont été placés des deux
côtés du trône. Son travail fut bien accueilli par
les critiques, qui, dans leur ensemble, lui reconnurent les talents
dun grand décorateur, à légal dun
Primatice ou dun Rosso. Pour eux, Delacroix avait su allier intelligence
et culture, en choisissant des thèmes adaptés à
lespace et au volume du lieu à décorer. La Salle
du Trône (aujourdhui appelé salon Delacroix), où
le roi se rendait pour inaugurer les sessions parlementaires, était
effectivement une pièce ingrate à décorer, de format
carré, denviron 11 mètres de côté et
quil dut faire aménager.
Source : Assemblée nationale