Synthèse de l’art de Beuys, Plight , créée à l’automne 1985 à Londres, pour la Anthony d’Offay Gallery, est née d’une réponse à la nuisance sonore que devaient causer des travaux programmés dans l’environnement de la galerie.
La polysémie de l’œuvre réside d’ores et déjà dans son titre (Situation critique), qui évoque en particulier l’idée de contrainte, de devoir, mais aussi celle de promesse.
Le visiteur pénètre dans un espace « claustrophobique » formé de deux pièces qui se succèdent selon un plan en « L » et dont les murs sont recouverts de rouleaux de feutre. La configuration de l’entrée l’oblige à se courber, véritable rite de passage destiné à lui faire vivre une expérience thermique et acoustique, le feutre emmagasinant la chaleur et amortissant les sons.
Le spectateur se voit alors confronté à un double silence : celui de l’espace environnant et celui d’un piano à queue placé dans la première salle et dont le couvercle est fermé – un tableau sur lequel sont dessinées des portées vides insiste sur ce mutisme musical. Le spectateur se retrouve néanmoins en situation d’écoute et devient le son premier de cette « installation silencieuse » qui valorise son potentiel sonore.
L’allusion au pouvoir calorifère du feutre est soulignée par la présence d’un thermomètre placé sur le tableau noir. Cette œuvre n’est pas sans évoquer la pièce 4’33’’ de John Cage (1952), dans laquelle les bruits émis par le public investissaient le « silence » préconisé par la partition.
La seconde salle, où l’on pénètre également courbé, vide et sans issue, nous oblige à revenir sur nos pas pour quitter l’installation en reproduisant les mêmes postures. Tout le dispositif invite ainsi à une réflexion sur la liberté et favorise la prise de conscience du potentiel créateur de tout individu.
Fanny Drugeon