Au salon de 1800, Marie-Guillemine Benoist expose un portrait qui fait réagir la critique : il s'agit d'une jeune femme noire drapée de blanc, assise dans un élégant fauteuil comme si elle faisait partie d'une famille aisée. Madeleine est la servante de la belle-sœur de l'artiste, fille de colons de la Guadeloupe, venue vivre en France. Madeleine est théoriquement libre. En peignant une ancienne esclave, Marie-Guillemine Benoist pose la question de l'égalité des droits car pour la première fois une femme noire est représentée pour elle-même et non plus comme une servante aux côtés d'un maître ou d'une maîtresse, orgueilleux signe de richesse.
Ni figure de fantaisie, ni étude, mais un véritable portrait où le modèle à l'instar des femmes de la haute société, apparait assise dans un fauteuil à médaillon, de trois quarts, le regard tourné vers le spectateur. L'œuvre traitée dans le style néo-classique de David réfère également à un autre modèle non moins glorieux et vénéra par l'Académie : La Fornarina de Raphaël que le turban, la main sous la poitrine dénudée, le regard directe rappellent de façon troublante.
Raphael | Marie-Guillemine Benoist |
Non seulement Marie-Guillemine Benoist s'engage, alors que le devoir de modestie l'en défend, dans un rapport d'émulation avec les grands maîtres anciens et modernes et démontre un métier parfait pour relever la gageure d'un traitement de la peau noire, parvenant à rendre beau un sujet alors réputé laid, mais elle prend une part active au débat politique duquel, en principe, le genre du portrait aurait dû la tenir à distance et auquel toujours en principe, seule la grande peinture d'histoire, en vertu de son éloquence" permet de contribuer. Vêtue des couleurs de la république, le modèle est drapée dan un vêtement qui évoque davantage les héroïnes davidiennes de la république antique que les esclaves : l'œuvre réalisé six ans après l'abolition de l'esclavage par décret de la convention (4 février 1794) dans un contexte encore incertain -Napoléon rétablit l'esclavage en 1802- doit se lire comme un manifeste politique en faveur de l'émancipation. Que ce soit un portrait et qu’il soit peint par une femme démontre à plus d’un titre en quoi il constitue à tous les niveaux une critique magistrale de la hiérarchie de genres.
Source : Martine Lecas, Des femmes peintres, p.216 à p.219