La construction du tableau en triptyque est une constante chez Bacon depuis 1944, année dans laquelle il peint Trois études de figures au pied dune crucifixion. Lié à lhéritage de la grande peinture religieuse, le triptyque sapparente aussi, chez lui, à la succession dimages propre au cinéma. Ce que lartiste cherche cest le rapport, la mise en relation de plusieurs sensations, la sensation nexistant pas isolée, pour lui.
Bacon a toujours peint à partir de modèles réels, de photos ou de photos de tableaux.
Les figures ici représentées, une pour chaque panneau, sont : à gauche, George Dyer, avec qui Bacon se lie de 1964 à 1971, année de la mort de Deyer ; à droite, probablement Lucian Freud, peintre anglais ; et, au centre, Bacon lui-même, la bouche tordue en un cri. Malgré les déformations que le peintre fait subir à limage, on reconnaît chaque modèle : « Je voudrais, dans un portrait, faire de lapparence un Sahara, le faire si ressemblant bien quil contienne toutes les distances dun Sahara », affirme-t-il.
Les corps nus baignent, dans un espace dépouillé, sur une plate-forme ellipsoïdale qui semble les aspirer dans un mouvement qui, des corps, se transmet à lespace. Prolongement obscène du corps de Dyer, une cuvette de wc blanche est comme le lieu où la figure sévacue delle-même. Lathlétique silhouette de Lucian Freud vrille dans lespace quelle traverse comme un projectile.
De dos, de face, de profil, cest lordre dans lequel les corps se présentent ici. « Jespère être capable de faire des figures surgissant de leur propre chair ( ) et den faire des figures aussi poignantes quune crucifixion », avoue lartiste. Ces figures peintes par Bacon ne peuvent pas ne pas faire penser aux personnages de Samuel Beckett, le grand écrivain irlandais, son contemporain. Dans ses romans ainsi que dans son uvre théâtrale Beckett met en scène des personnages qui ne sont plus que des corps qui se défont, rampent, stationnent, sexpulsent deux-mêmes. Jusquà ne plus être, dans le texte, quune voix qui rejoint le cri qui nous regarde des peintures de Bacon. « Jai voulu peindre le cri plutôt que lhorreur » affirme, en effet, lartiste.