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Née à Osaka en 1972 et résidant à Berlin, Chiharu Shiota est mondialement reconnue pour ses installations monumentales faites de fils de laine entrelacés. Ces toiles gigantesques enveloppent très souvent des objets de son quotidien et invitent à un voyage onirique majestueux. Ses créations protéiformes explorent les notions de temporalité, de mouvement, de mémoire et de rêve, et requièrent l’implication à la fois mentale et corporelle du spectateur.
Co-organisée avec le Mori Art Museum de Tokyo, cette exposition est la plus importante jamais consacrée à l’artiste, en France. Déployée sur plus de 1 200 mètres carrés, elle offre une réelle expérience sensible. Avec sept installations à grande échelle, des sculptures, des photographies, des dessins, des vidéos de performance et des documents d’archives liés à son projet de mise en scène, l’exposition représente l’occasion de se familiariser avec la carrière de Shiota, qui s’étend sur plus de vingt ans.
Cette exposition est co-organisée par le Grand Palais et le Mori Art Museum, COMMISSARIAT Mami Kataoka, Directrice du Mori Art Museum.
L’exposition est aussi l’occasion de faire la part belle à l’œuvre graphique de l’artiste, avec de nombreux dessins et gravures, une rareté au sein des principaux interprètes du caravagisme. Les récentes découvertes scientifiques ont par ailleurs permis d’enrichir son corpus romain avec un ensemble de peintures préalablement attribuées au Maître du Jugement de Salomon, éclairant d’un jour nouveau le début de sa carrière. Ribera s’impose désormais comme l’un des interprètes majeurs de la peinture caravagesque, l’un des plus précoces et des plus radicaux.
Pour créer ses installations, Chiharu Shiota remplit l’espace vide d’une pièce au fur et à mesure qu'elle entrecroise des fils noirs, rouges ou blancs. Elle travaille ses installations de fil avec ses mains comme une tisseuse. C’est comme si elle traçait les lignes d’un dessin en trois dimensions. Elle raconte elle-même qu’elle « dessine en l’air. » Les fils tissés en une sorte de méditation, forment des connexions complexes comme celles du cerveau.Ces réseaux monumentaux sont si denses que le regard peut s’y perdre. Selon l’artiste, lorsque l’œil ne voit plus c’est le cœur qui commence à percevoir. Les installations de Chiharu Shiota donnent l’impression d’être immergé dans une image mentale matérialisée, un peu comme si l’on entrait dans un rêve. Celle-ci explique que : « Les fils s'enchevêtrent ; parfois, ils se hérissent et se resserrent comme pour relier l'univers mental qui existe en moi au cosmos extérieur. » Dans l’œuvre intitulée Uncertain Journey (Voyage incertain, 2016/2024) 4 , les visiteurs traversent des nuées et des vagues rouges qui jaillissent de barques noires vides. Cette plongée, provoque des émotions et des souvenirs personnels. Les fils symbolisent les liens entre les humains mais évoquent aussi les réseaux sociaux qui nous connectent aux grands événements mondiaux. Les problèmes et les souffrances qui nous parviennent agissent sur nos vies et notre état d’esprit. Ici, le drame des réfugiés qui partent à bord de bateaux de fortune et risquent leur vie, peut surgir dans la pensée. Généralement éphémères, les réalisations de Chiharu Shiota proposent une expérience aux spectateurs au moment de l’évènement pour que les sentiments qu'il ont éprouvés restent dans leur souvenir une fois qu’ils ont quitté les lieux. « J'aime l'idée que mon travail ne reste que dans la mémoire du visiteur. », dit-elle.
Selon Chiharu Shiota : « Le noir évoque toute l’étendue de cet univers profond, et le rouge, les fils qui relient une personne à une autre, mais aussi la couleur du sang. » Elle associe le noir au ciel nocturne ou au cosmos mais également à l’univers des rêves. Quand on éteint la lumière et qu’il fait noir, la vision devient intérieure, des images apparaissent derrière nos paupières. Dans son installation In Silence (En Silence, 2002/2024) 18 , le noir est relié à la musique, par nature invisible et abstraite. L’immersion dans une ambiance sombre incite à méditer. À l’opposé, le rouge est vital comme les vaisseaux sanguins à l’intérieur du corps. Cette couleur palpitante, symbolise pour Chiharu Shiota la vie et la mort et prend une place centrale dans ses œuvres dès le début de son parcours artistique. Elle met en scène son corps dans la performance Becaming Painting (Devenir Peinture) 6 en 1994 avec un émail rouge qui l’éclabousse. Plus tard, dans une vidéo intitulée Walls (2010 , un enchevêtrement de tuyaux où circule un liquide rouge, comme du sang, se mêle à son corps et laisse entendre un battement de cœur.
L’artiste se réfère aussi à une croyance asiatique qui veut que cette couleur vive relie à la naissance les personnes destinées à se connaître ou à vivre ensemble. Ainsi, de petits fils rouges qui relient les meubles miniatures de Connecting Small Memories (Relier les petits souvenirs, 2019/2024) 15 évoquent ces connexions entre humains. Ces deux couleurs s’opposent et se complètent comme deux pôles : les vaisseaux sanguins qui circulent dans le corps constituent un micro-univers, un petit monde à l’échelle humaine, tandis que le cosmos est le ciel infini, le macrocosme (grand monde).
Chiharu Shiota n’utilise ni le bleu, ni le vert ni le jaune, ou même d’autres couleurs, pour ses installations, mais le rouge, le noir et le blanc. La perception et l’interprétation de ces couleurs diffèrent selon les cultures. Dans le système chromatique de l’Antiquité, le rouge est synonyme du mot « couleur », tandis que le noir évoque le sale et le blanc l’incolore. Ailleurs, en Asie et en Afrique, le blanc est la couleur du deuil. En russe le mot « krasnoï » signifie rouge et beau à la fois : « La place Rouge » à Moscou est aussi « La Belle place ». Le noir et le rouge apparaissent dès 1994 dans le travail de tissage du fil créé par Chiharu Shiota, alors que le blanc entre en scène plus tard en 2017. Pour l’artiste, cette année-là représente un nouveau départ en lien avec sa maladie. Elle a développé un cancer de l'ovaire en 2005 qui a réapparu au printemps 2017. Cet évènement dramatique de sa vie donne une force vitale puissante à ses œuvres, qu’elle charge d’une réflexion nouvelle sur sa propre existence et le sens de la vie en général. Le blanc prend alors le sens de la pureté d’une page blanche pour elle. Son installation Where are We going ? (Où allons-nous ?, 2017/2024 ) 1 qui accueille le visiteur dans l’escalier monumental de l’exposition et le reconduit à sa sortie, est un assemblage suspendu de bateaux complétés par des feuilles de fils blancs laqués, qui reflètent la lumière. L’ensemble donne l’impression d’un envol d’oiseaux blancs ou de nuées et peut faire songer à un voyage spirituel. Objets de mémoire
L’artiste tisse des fils au-dessus d’objets du quotidien qu’elle réussit à piéger. Ces toiles gigantesques enveloppent ou maintiennent des chaises, des lits, des vêtements, des chaussures, des valises, des clés…Les objets ordinaires portent les souvenirs des personnes qui les ont possédés et utilisés. Ils témoignent de leur présence en leur absence. Pour l’installation Connecting Small memories (Relier les Petits Souvenirs, 2019/2024), Chiharu Shiota met en scène des meubles de poupées. Elle les trouve dans les marchés aux puces de Berlin et les collectionne. L’artiste dit à leur propos : « J'ai l'impression de me connecter aux anciens propriétaires en acquérant ces objets anciens, et j'aime les utiliser dans mes installations ou sculptures. » En 2004, elle a demandé aux gens de donner des chaussures liées à un souvenir et d’inclure une note écrite personnelle. Dans cette création, intitulée Dialogue from DNA (Dialogue à partir de l'ADN) , les chaussures agissent comme des intermédiaires et permettent la connexion avec la mémoire d'une personne. Un fil rouge relie symboliquement les sentiments de ces personnes entre-elles. Par ailleurs, le lit devient un objet transitionnel essentiel pour l’artiste. Il symbolise les limites de la vie et sert d'intermédiaire entre le rêve et la réalité. C’est l'endroit où l'on s'endort à la fin de chaque journée, où l'on rêve, où l'on se réveille. C'est là aussi que l'on naît et que l'on meurt. L’artiste l’a utilisé pour la première fois dans son travail en 1999 et l’associe à une performance dans During Sleep (Pendant le Sommeil, 2002) 9 au cours de laquelle elle a invité des personnes à s’endormir dans des lits d'hôpital blancs, au milieu d’une installation de fils noirs. Chiharu Shiota est sensible à l’idée des souvenirs accumulés dans les lits, qu’elle perçoit comme des énergies invisibles.
La valise est un objet qui apparaît en grand nombre (plus de 400) dans une installation monumentale de l’exposition. Cet objet pose la question de ce que l’on emporte, comme la mémoire du chez soi. Pour les occidentaux les vieilles valises renvoient aux réfugiés et à la shoah, mais ce n’est pas ce que l’artiste a voulu au départ. Ce qui importe pour elle c’est que ces installations éphémères fassent jaillir des émotions et sollicitent la mémoire. Shiota dit s’inspirer des Monuments et Archives (années 1980) de Christian Boltanski (1944-2021) mais elle n’en garde pas l’aspect de monument mortuaire et cherche plutôt à évoquer le voyage et l’exil. Dans les démarches de ces deux artistes, c’est la mémoire affective des individus qui compte au travers des objets.
L’inspiration de Chiharu Shiota émerge souvent d’une expérience ou d’une émotion personnelle qu’elle élargit en préoccupations humaines universelles. Le questionnement sur la vie et la mort apparaît très tôt dans son travail. En 1997, elle réalise une installation intitulée I Have Never Seen My Death (Je n’ai jamais vu ma mort) pour laquelle elle a collecté des os de mâchoires de vaches dans une entreprise de transformation de viande. L’artiste a placé ces restes d’animaux, dont le choix peut heurter la sensibilité, en cercles concentriques autour de dizaines d’œufs. C’est par cette action qu’elle parvient à concrétiser, pour elle et pour le public, la réalité du destin humain. Cette question est devenue essentielle quand Chiharu Shiota est tombée malade en 2005. Une série de dessins et de sculptures, témoigne de l’idée d’une transformation dans son corps et dans sa pensée. Cell (Cellule, 2020) évoque des cellules en train de se multiplier comme on peut les observer au microscope. Elle relie cette image, fortement agrandie d’éléments normalement invisibles à l’œil nu, à un personnage minuscule. Les millions de cellules dans l’organisme, représentent un univers complexe et l’humain prend sa place entre ce petit monde essentiel pour la vie et celui du cosmos qui est encore plus grand. Chiharu Shiota exprime l’idée que chaque élément du plus petit au plus grand est relié par la même énergie vitale qui circule et se transforme, mais ne disparaît pas : « Passer de la vie à la mort n'est pas une extinction, mais un processus de dissolution dans quelque chose de plus vaste. Si tel est le cas, alors il n'y a plus lieu de craindre la mort. » La vie et la mort appartiennent à la même dimension selon elle. Quand la maladie a réapparu au printemps 2017, Chiharu a ressenti le besoin de l’expliquer en tant que mère. Elle a posé la question suivante : « Où s’en va l’âme après la mort ? » à des enfants de 10 ans, l’âge de sa fille. Dans la vidéo About The Soul (À propos de l’Âme, 2019), les jeunes Allemands répondent avec conviction et poésie.
Source : Dossier pédagogique