Pour Jean Douchet, l'artiste et le critique ont tous deux pour but de maintenir
vivantes des sensibilités, assurées par la survie de leur art
et perpétuées par les uvres. L'artiste étant seulement,
si l'on peut dire, un critique qui a réussi. L'artiste a doublement
réussi, d'une part à affronter le monde réel en produisant
l'uvre et d'autre part à laisser une trace, l'uvre d'art.
Le critique à une méthode : trouver le noyau créateur
et décrire en quoi ce noyau rend compte de l'uvre et en quoi
il est pertinentes vis à vis du monde et surtout du cinéma pour
décrire ce que l'uvre apporte au cinéma.
Par rapport à l'artiste, la critique est handicapée par le
fait d'avoir à remonter de l'uvre au noyau fondateur (attention
au délire interprétatif). "Le critique doit en suggérer
l'idée la plus exacte possible". Mais le critique est toujours
vigilant pour savoir ce que l'uvre apporte au cinéma. L'artiste
peut s'approprier le cinéma pour faire triompher sa subjectivité
alors que le but de l'artiste est de tendre à atteindre le génie
et la nature d'un art.
"Révéler en quoi l'artiste enrichit son art par son uvre
et comment cette uvre est enrichie à son tour par l'art me parait
être en définitive, la pierre d'achoppement de la critique."
La forme, qui n'appartient pas à l'artiste, mais relève de l'art dans lequel il a éprouvé le besoin de s'exprimer est l'élément dynamique auquel se livre totalement l'artiste pour le maîtriser de l'intérieur, le "former" jusqu'à ce qu'il soit le signe sensible et évident d'une existence unique, la sienne, puis l'abandonner au courant de cet art dont il est issu et dans lequel, être vivant et singulier, il s'épanouira seul et indépendant, désormais. Là encore et surtout la critique sera nécessaire à l'artiste. Car la tentation est forte, et peu d'artistes y échappent à un moment de leur carrière et quelquefois jamais, d'arracher la forme à son art et de se l'approprier, sans respect pour la forme propre et spécifique de cet art. Ceux qui contestent Eisenstein, Welles ou Resnais me comprendront. Il lui faut être un affluent qui enrichit et modifie par la qualité originale de sa source le gros du fleuve dans lequel volontairement il se noie pour mieux vivre. Il lui faut éviter cette tentation mégalomane de capter les eaux du fleuve pour fabriquer une superbe pièce d'eau dont il se fait un miroir qui ne réfléchit que sa propre image, orgueilleuse et solitaire. La splendeur apparente d'une telle uvre ne parvient pas à dissimuler qu'il s'agit là d'une eau morte. Pour l'artiste, plus encore que pour le critique, combien est périlleuse et difficile cette quête incessante d'une harmonie entre la passion et sa lucidité !
A quelque stade qu'on l'envisage, tout, dans l'activité de l'artiste, implique une attitude critique (...), il engage un combat dont l'enjeu est la survie de sa sensibilité, assurée par la vie même de son art. Il transmet à une trace, dotée elle-même d'une sensibilité propre le soin de perpétuer à jamais la richesse d'une conscience intime
Car, au-delà de l'artiste, la critique vise à comprendre et même à expliquer l'art. Seul l'artiste prouve l'art en créant. L'amateur et le critique ne peuvent qu'en saisir l'idée, en ressentir intuitivement la nature (...) l'artiste est d'abord et avant tout un critique qui a réussi (...) Au début d'un art, ou de la renaissance d'un art, critique et art se confondent. Le véritable créateur est conscient de son art et se soumet à lui. On peut même dire qu'un Giotto, un Homère, comme un Griffith, trouvent d'instinct et d'emblée, l'étendue et toutes les possibilités de leur art. La critique commence à se détacher de l'artiste, lorsqu'il s'agit d'approfondir certaines voies esquissées par les pionniers, ou que des techniques neuves viennent modifier la conception de l'art et ouvrir de nouvelles perspectives.