Une chronologie politique ferait débuter le cinéma des années 70, par les événements de mai 1968 et le clôturerait par l'élection de François Mitterrand à la présidence en mai 1981. Il s'agit de la période de l'entre-deux-mai selon la formule de l'historien Pascal Ory.
Dans une logique interne au cinéma, la date de mai 68 peut être conservée comme début de la période. Les événements de 68 amènent les cinéastes à réfléchir sur leur pratique et à la modifier. Par contre, mai 1981 ne provoque pas de changement dans le cinéma. La date du dernier film réalisé par François Truffaut en 1983 convient mieux pour clore une période que l'on définira comme celle d'une coexistence pacifique et enrichissante entre un centre du cinéma, populaire, et sa périphérie, plus ouverte sur la nouveauté.
I - Le cinéma révolté
Pour ce cinéma, mai 68 représente une rupture thématique et stylistique. La subjectivité de l'auteur n'est plus mise en avant. La prise de parole à la première personne est dévalorisée par rapport aux expressions d'un groupe, voir de la société tout entière. La forme académique est dévalorisée par rapport à un traitement plus léger, proche du travail de documentariste.
Le film militant
La définition du cinéma militant est formalisée lors des Etats généraux du cinéma de mai 68 qui réunissent tous les corps de métier du cinéma en grève et publient dans leur bulletin un manifeste : Pour un cinéma militant.
"Pour réaliser une rupture idéologique avec le cinéma bourgeois, nous nous prononçons pour l'utilisation du film comme arme politique." Le manifeste fait trois propositions concrètes :
L'expression "cinéma militant" semble ainsi renvoyer exclusivement à la décennie qui s'articule autour de mai 1968 - auparavant, on parle par exemple de "cinéma de propagande ", ou de cinéma "parallèle ".
La technique majoritairement utilisée est celle du cinéma direct, apparue en France une vingtaine d'années auparavant, consécutive à l'invention du magnétophone portable Nagra, et de la Coutant, une caméra à la fois légère - donc portable, et silencieuse - donc permettant la prise de son synchrone. Bref, le cinéma militant, c'est du cinéma direct politisé.
Autre trait formel commun : l'absence fréquente de moyens se traduit par des films généralement courts, en noir et blanc et en 16 millimètres, voire en super 8, dont la forme extrême est le "cinétract" - film de trois minutes, muet, noir et blanc, composé uniquement de photos en banc-titre - l'objectif étant la diffusion et l'agitation immédiates. S'y sont illustrés de concert Godard, Marker et Marc Riboud.
C'est donc mai 68 qui constitue le moment fondateur du cinéma militant : les Etats généraux, l'IDHEC en grève, voire même certaines agences de publicité organisent des équipes de tournage qui filment les manifestations, les grèves, la Sorbonne, Odéon, les différents mouvements politiques.
Des kilomètres de pellicule sont alors impressionnés dont on retient
Diffusées dans des ciruits parallèles ces films seront peu vus avant le programme mai 68 par lui-même diffusé en 1978 et surtout leur éditions en DVD au début des années 2000 à tel point que l'on a longtemps cru qu'il n'existait que Grands soirs et petits matins de William Klein, le film de la synthèse tardif tourné en 2008 mais monté et distribué en 1978 seulement.
L'héritage de 1968
Ce bouillonnement de mai 68 se poursuit jusqu'au milieu des années 70. L'accession au pouvoir de Valery Gscard D'estin, la fin de cinélutte et la mutation vers el documentaire d'auteur que préfigure Nicolas Philibert, proche de Cinélutte, qui réalise en 1978, avec Gérard Mordillat, un film sur les patrons, La voix de son maître.
Chris Marker avait aussi rejoint les adeptes du direct avant 1968. En 1962 il filme une enquête sur les réactions de Paris à la guerre d'Algérie : Le joli Mai . Chris Marker ne ressent donc aucun choc à l'écoute des idées de mai 68 car il les a eues dès 1962-63 d'où sa participation avec les collectif Slon puis Iska et les groupes medvekine.
Slon (Société de Lancement des Oeuvres Nouvelles - et "éléphant" en russe), est fondé par Chris Marker dès 1967, dans la foulée de ce qu'on considère généralement comme le premier film du cinéma militant, Loin du Vietnam, film collectif contre la guerre du Vietnam regroupant les signatures prestigieuses d'Agnès Varda, Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Ruy Guerra, Joris Ivens, Jean Rouch, René Vautier. Slon, est créé pour soutenir le tournage de A bientôt j'espère sur la grève ouvrière de la Rhodiaceta à Besançon en 1967, sous l'égide de Chris Marker et Mario Marret. Mais le film est récusé par les ouvriers dès la fin 1967, qui critiquent le "romantisme" de Chris Marker. Ce demi-échec va permettre la formation des groupes de cinéma militant les plus célèbres de l'après 68, les groupes Medvedkine, d'abord à Besançon puis à Sochaux, qui regroupent à la fois des ouvriers et des cinéastes venus de Paris leur donner des cours
Cette même expérience à Besançon inspirera la formation de deux autres groupes : le groupe Dziga Vertov, animé principalement par Jean-Luc Godard, et le groupe Dynadia puis Unicité, affilié au PCF, lancé par Mario Marret et Paul Seban.
En 1977, Marker donnera à plus de 55 ans, une œuvre où il tente de comprendre les dix ans qu'il vient de vivre, non à l'échelle de son existence individuelle, mais en confrontant les événements qui ont ébranlé le monde. Le fond de l'air est rouge brasse toute une époque d'espoirs et de désillusions en utilisant quelques documents d'archives mais aussi de nombreux films militants venus de tous les pays du monde pour témoigner autrement.Tout au long des années 1970 avec la création de groupes militants.
En 1967 Jean-Luc Godard tourne La Chinoise qui se déroule dans les groupuscules prochinois de la faculté de Nanterre. Quelques mois après les frères jumeaux de ses personnages déclenchent dans ces mêmes lieux les événements de mai. Certes les héros de Godard n'avaient pas l'esprit très clair et faisaient figure de losers marginaux de la révolution. Mais ceux de mai 68 maîtrisent-ils mieux leurs théories et parviennent-ils davantage à saisir le pouvoir ? Il n'est donc pas étonnant que, déjà ébranlé dans son confort intellectuel en 1967, Godard soit un des rares cinéastes à se remettre en question en Mai 68. Renonçant aux facilités du système et à son statut enviable de porte drapeau du cinéma d'auteur, Godard plonge pendant de longues années dans le militantisme. Au faîte de sa popularité en 1967, Godard est oublié trois ans plus tard. La difficulté à tenir les paris de 1968 est particulièrement évidente chez Godard dont le cas est exemplaire des conflits entre volonté de témoignage anonyme et tentation d'expression personnelle. En effet d'abord sincèrement désireux de privilégier le travail en commun, Godard en vient vite à un simple dualisme pour arriver trois ans après à réaffirmer son moi à travers un regard purement subjectif. Le groupe Dziga Vertov se soumet aux décisions conjuguées de Godard-Gorin et ne peut tenir longtemps sa ligne "révolutionnaire" dans un pays et un cinéma bientôt normalisés. Il est donc possible de suivre la filmographie de Godard à travers l'Italie (Vent d'Est, 1969), la Tchécoslovaquie (Pravda, 1969) ou l'Allemagne (Vladimir et Rosa, 1970) jusqu'à son retour à la production classique en 1972. Il réalise néanmoins des films didactiques sur le pouvoir et la manipulation des images Tout va bien (1972), Ici et ailleurs (1974), Numéro deux (1975).
L'ARC, Atelier de Recherche Cinématographique, et Cinélutte deux collectifs d'élèves et professeurs de l'IDHEC. Le second, animé en particulier par Richard Copans et Jean-Denis Bonan sur une ligne très mao, succède au premier, où l'on trouvait des cinéastes comme Michel Andrieu, ou Jacques Kébadian.
Le Grain de sable, collectif fondé en 1974, qui repose sur les épaules de trois principaux cinéastes : Jean-Michel Carré, Serge Poljinsky, et Yann Le Masson, qui deviennent des cinéastes militants "professionnels" au sens où ils gagnent leur vie avec le cinéma militant. Les thèmes qu'ils abordent sont plus sociaux : lutte des femmes (Liberté au féminin et Le juste droit de Poljinsky), nucléaire (Nucléaire danger immédiat du même Poljinsky), éducation (Le ghetto expérimental sur Vincennes, L'enfant prisonnier de Carré).
La plupart des collectifs disparaissent au cours des années 1970. Seuls subsistent ISKRA, qui, tout en produisant encore quelques films, va surtout assurer la distribution militante de l'ensemble de ce cinéma, et le Grain de sable, qui, après scissions, reste aux mains de Jean-Michel Carré. Richard Copans, quant à lui, fonde au début des années 1980 Les films d'ici, qui est devenue l'une des principales maisons de production de documentaires - où l'on retrouve un certain nombre de membre de Cinélutte. Iskra se consacre aujourd'hui également au documentaire. On retient aussi Histoires d'A de Charles Belmont et Marielle Issartel, est un film emblématique de la lutte féministe pour la libéralisation de l'avortement. Réalisé en 1973, il est l'un des tout premiers à montrer un avortement réalisé selon une nouvelle méthode beaucoup moins dangereuse qu'auparavant, la méthode par aspiration, dite méthode Karman. Quoiqu'aussitôt interdit, il est diffusé malgré tout et fait un grand nombre d'entrées, s'inscrivant dans le grand mouvement de désobéissance civile de l'époque.
Une des figures du cinéma féministe est alors Carole Roussopoulos, fondatrice avec son mari Paul du groupe Video Out. Elle est l'une des premières à filmer en vidéo, et on lui doit de nombreux et précieux documents, comme le premier film sur le FHAR, Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (filmé également en couleur par Roger Danel). C'est elle aussi qui pour la toute première fois a filmé un avortement Karman dans Y a qu'à pas baiser. Elle est aussi la réalisatrice d'un film sur la grève des prostituées à Lyon en 1975.
Le militantisme homosexuel trouve dans le jeune Lionel Soukaz son porte-parole cinématographique, puisqu'il réalise des films comme Race d'Ep avec l'intellectuel Guy Hocquenghem, revenant sur un siècle d'histoire homosexuelle, ou encore Ixe, un film porno expérimental, qui déroule deux films côte à côte sur une rythmique quasi-hallucinatoire.
Mais de la lutte des femmes, on retiendra surtout Regarde elle a les yeux grands ouverts. Le film de Yann Le Masson, tourné à Aix en immersion dans un groupe dissident du MLAC est découpé en quatre séquences - deux accouchements "naturels" encadrent un avortement Karman et une scène de procès avec manifestations devant le tribunal. La scène finale, lors de laquelle la personnage principale du film s'accouche elle-même au milieu des membres du groupe, est particulièrement marquante.
De nombreux films continuent à suivre les luttes ouvrières. Au moment de la grève de Lip, à partir de 1973, beaucoup de cinéastes partent ainsi tourner des images comme Dominique Dubosc, ou Richard Copans qui réalise A pas lentes ou encore l'inépuisable Carole Roussopoulos, abordant le conflit sous l'angle féministe, en se focalisant notamment sur la figure de Monique Piton. Il en sera de même pour les luttes paysannes, en particulier au moment de la tentative d'évacuation du Larzac pour y installer une base militaire.
Les luttes révolutionnaires à l'étranger sont également très présentes. ISKRA diffuse ainsi les films de Patricio Guzman qui s'est exilé en Europe : La Première année, mais surtout La Bataille des dix millions qui revient sur les années précédant le renversement d'Allende au Chili, et constitue en cela un document irremplaçable. Le film est d'ailleurs sélectionné à Cannes, de même que Le moindre geste, produit également par ISKRA, et qui constitue peut-être un des films les plus atypiques du courant.
On retiendra aussi des collectifs régionaux, comme Torr e Benn (" Casse-leur la tête " en breton) et Condamnés à réussir, de François Jacquemain, film militant écologiste, qui dénonce à la fois les dysfonctionnements de l'usine de La Hague au travers d'interviews d'ouvriers syndiqués, et, plus généralement, le recours massif à l'énergie nucléaire. Une des séquences clé du film voit l'un des ouvriers mettre environ trois quarts d'heure à enfiler sa combinaison de protection afin d'effectuer de simples travaux de plomberie à l'intérieur de l'usine.
Le film engagé
La conséquence la plus remarquable de mai 68 est l'émergence d'un cinéma politique de grande consommation symbolisée par "La trilogie" de Costa-Gavras avec Yves Montand :"Z, ou l'anatomie d'un assassinat politique", 1969 (un chef de l'opposition démocratique assassiné avec l'appui du pouvoir dans la Grèce des colonels) ; "L'aveu", 1970 (en 1951 à Prague, un homme politique est arrêté, mis au secret et contraint d'avouer des crimes imaginaires contre le communisme) ; "Etat de siège", 1973 (les Tupamaros enlèvent puis abattent un conseiller américain de la police chilienne). Côté idéologique le mérite de Costa-Gavras, Semprun et Montand est grand. Alors que ce type de film aurait fait fuir les spectateurs deux ans plus tôt il permet au peuple de gauche de voir triompher ses idées au cinéma mieux que dans la rue ou dans les consultations électorales. Personne n'imagine au début de 1969 un "cinéma des droits de l'homme". Côté esthétique le travail de Costa-Gavras consiste à réduire au minimum la polysémie naturelle du langage cinématographique ; si certains personnages peuvent être ambigus, le récit lui doit être clair. C'est pourquoi le spectateur en sait généralement un peu plus que les protagonistes, cette légère avance lui permettant de saisir sans risque d'erreurs le comportement de chacun. Bref, Costa-Gavras a quelque chose à dire et entend être compris: il ne s'agit pas pour le spectateur de deviner d'interpréter, de recomposer en toute liberté les éléments d'un dossier ; nul brouillard métaphorique ou symboles aux sens multiples.
A la suite du film "grec" de Costa-Gavras, un certain nombre de réalisateurs français amorcent ce que Guy Hennebelle appelle "la série Z", cinéma de divertissement, certes, mais aussi d'information et de réflexions critiques: Michel Drach ("Elise ou la vraie vie, 1970), André Cayatte (Mourir d'aimer, 1970) Laurent Heynemann ("La question", 1976). Yves Boisset apparaît comme le chef de file des cinéastes des justes causes avec, lui aussi, sa trilogie : "L'Attentat", 1972 (l'affaire Ben Barka), "Dupont-Lajoie", 1974 (le racisme ordinaire) et "Le juge fayard, dit le shérif ", 1976 (L'assassinat du juge Renaud). Le cinéaste le plus virulent des années 70 est certainement Jean-Pierre Mocky "Solo", 1970 ; "l'albatros", 1971 ; "Le piège à cons", 1979
Films féministes: "L'amour violé", 1977 de Yannick Bellon mais surtout d'Agnès Varda "L"une chante, l'autre pas", 1977.
II - La continuité du cinéma d'auteur
Le déclin provisoire de la Nouvelle Vague
Les cinéastes de la nouvelle vague sont affectés. Après un début de décennie très intéressant (Le boucher, 1970, ou Les noces rouges, 1973) Claude Chabrol s'enlise dans la médiocrité dont il ne sort que quelquefois (Violette Nozière, 1978). Eric Rohmer tourne en 1972 le dernier des six contes moraux. Il ne commence qu'en 1981 sa nouvelle série "comédies et proverbes". Entre les deux il s'impose des adaptations littéraires réussies mais dont l'inspiration n'est guère contemporaine : La marquise d'O, 1976, Perceval le Gallois, 1978). De 1975 à 1982 Jacques Rivette ne peut réaliser que trois films de son cycle de quatre récits imaginaires : Duelle, Noroît et Merry-go-round. Après La Chinoise, 1967, seul film préfigurant les événements de 1968, Godard plonge pour dix ans dans le militantisme. Louis Malle réalise "Lacombe Lucien", 1974 puis s'exile aux Etats-Unis pendant dix ans. Alain Renais ("Stavisky", 1974 et "Providence", 1976) et surtout François Truffaut ("L'enfant sauvage", 1970 ; "Domicile conjugal", 1970 ; "les deux anglaises", 1971 ; La nuit américaine, 1973 ; "L'histoire d'Adèle H.", 1975 ; "L'homme qui aimait les femmes, 1977 ; "La chambre verte", 1978)
Le centre imperturbable
Les cinéaste de la nouvelle vague créent un nouveau langage pour leur sensibilité exacerbée. A l'opposé des cinéastes cherchent à faire passer leur vision du monde par l'anecdote tout en respectant l'efficacité de la grande tradition hollywoodienne. Ces films ont l'appui du public: intéressant, intelligent, bien construit, interprété par des vedettes et soutenus par les médias, ce cinéma constitue le fondement d'un commerce de qualité. L'œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie de cette tendance est certainement celle de Bertrand Tavernier qui alterne petits sujets à la française: "L'horloger de Saint-Paul", 1974 ; " Des enfants gâtés", 1977 et films historiques "Que la fête commence", 1975 ; "Le juge et l'assassin", 1976.
Claude Sautet, d'abord du côté des hors-la-loi ("Classe tous risques", 1959) ne connaît le succès public que depuis qu'il analyse les états d'âmes de la moyenne et petite bourgeoisie. Avec "Les choses de la vie", 1969 il impose une image de marque désormais bien établie. Depuis 20 ans, il reprend régulièrement les mêmes et recommence, "Vincent, François, Paul et les autres", 1975, apparaissant comme le prototype de ce cinéma miroir des classes moyennes qui inquiète peu et séduit beaucoup. Cet univers est mis en valeur par un habile talent de conteur capable de soutenir l'attention du spectateur avec des situations assez faibles. Il multiplie les personnages pour donner à chacun de ses films une allure unanimiste. Il privilégie seulement les personnages juste un soupçon plus forts que les gens ordinaires et il les baigne dans tous les problèmes de l'époque (mariage, enfants, amour, communication, féminisme).
Michel Deville réalise d'abord des comédies avec Nina Companez : "Ce soir ou jamais", 1960 jusqu'à Benjamin", 1967 et "L'ours et la poupée", 1969. Dernier film du tandem, "Raphaël ou le débauché", 1970 est une tragédie qui marque une nette rupture. Michel Deville approfondie sa tendance à la noirceur qui culmine dans "le dossier 51", 1978 écrit d'après les fiches composant le roman de Gilles Perrault.
III La génération 1970
La richesse du cinéma de recherche
Marguerite Duras après plusieurs contributions en tant que scénariste accède à la réalisation avec "Détruire dit-elle" en 1969. En 1975 "India Song" lui apporte une consécration cinématographique comparable à la place qui était la sienne en littérature. Avec "Le camion" en 1977 elle poursuit ses recherches cinématographiques.
Après avoir réalisé son premier court-métrage à 16 ans, Philippe Garrel débute en 1967 et 1968 par des films extrêmement personnels: "Anémone", "Marie pour mémoire" sont des biographies intimes. Claude Mauriac dans un article élogieux du Figaro le compare à Godard, Rimbaud et Artaud. Rapidement Garrel se tourne vers une esthétique hermétique. En 1983 avec "L'enfant secret" il revient aux choses de la vie.
La thématique de Jean-Marie Straub est assurément politique mais son traitement est tellement agressif par son rejet de tous les codes narratifs, que le message risque de se perdre pour le spectateur désorienté.
Les cinéastes de la sensibilité douloureuse
En 1972, Jean Eustache réalise "La maman et la putain" puis, en 1975, "Mes petites amoureuses". En 1978, "Une sale histoire" scandalise en pleine vague pornographique. Eustache ne tournera plus pour le cinéma; il se suicide en 1981.
Les trois premiers films de Pialat forment un triptyque de la vie. L'enfance en 1969; "l'enfance nue"; l'âge adulte en 1972: "Nous ne vieillirons pas ensemble"; la vieillesse et la mort en 1973: "la gueule ouverte". En 1978, "Passe ton bac d'abord " décrit l'avenir bouché de jeunes sans qualification. Avec "Loulou", 1979 Pialat choisit un sujet plus conventionnel (La bourgeoise et le loubard) pour débusquer la vulnérabilité des êtres sous leur masque apparent d'insensibilité. En 1983 "A nos amours" clôture le cycle social de Pialat.
Doillon "Les doigts dans la tête", 1977, "la drôlesse ", 1979
André Téchiné "Souvenirs d'en France", 1974, "Barocco" 1976
IV Un système qui résiste mais dont les recettes s'usent.
Le film porno
C'est Mai 68 et ses effets libérateurs sur les moeurs qui cassent le tabou et imposent le sexe. Le libéralisme, la pilule, la psychanalyse lacanienne et les confessions radiophoniques de Ménie Grégoire se donnent la main. L'érotisme aseptisé, ayant perdu sa charge subversive, peut s'afficher au grand jour et devenir marchandise à usage domestique, ce dont ne se privera pas le cinéma publicitaire.
Le phénomène du film X dure 12, ans de 1973 à 1984. La phase ascensionnelle dure cinq ans : de 1973 (19 films produits sur 200) à 1977 (58 films sur 214). L'apogée se situe en 1978 (142 films sur 302) 1979 (66 films sur 240).
Un peu par surprise, c'est L'enfer pour miss Jones qui est le premier film pornographique montré en France devant un vrai public. Projetté au premier festival d'Avoriaz en 1973 car fantastique par son sujet, il est aussi présenté au premier festival du film fantastique de Paris (qui n'est pas encore le festival du Rex) dans une petite salle de cinéma de la rue Monge.
1973-1974 marque la grande offensive du sexe. En un peu plus de douze mois sortent sur les écrans Les valseuses de Bertrand Blier, Glissement progressifs du plaisir de Alain Robbe-Grillet, La femme aux bottes rouges de Juan Bunuel dans lequel Catherine Deneuve se dénude entièrement, Les Contes immoraux de Valérian Borowczyk où les masturbations à l'aide de concombres sont filmées dans l'esthétique des estampes cochonnes du début du siècle. Le succès mondial d'Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974) avec Sylvia Krystel et Alain Cuny en initiateur pornocrate, clamant avec Arthur Rimbaud qu'il faut changer la vie, consacre le triomphe du porno soft à l'usage des familles endimanchées.
Mais il faut attendre le 23 avril 1975 pour que le passage à l'acte, le premier film hardcore (en argot : "du vrai") montrant explicitement l'acte sexuel soit autorisé en France. C'est Anthologie du plaisir (A history of the blue movie, 1970) film américain d'Alex de Renzy, compilation de 11 courts-métrages érotico-pornographiques de 1915 à 1970. Il faut donc attendre le milieu des années 70 en France pour que l'on ose transgresser l'interdit et passer de la suggestion métaphorique à la représentation non simulée de l'acte sexuel. L'enfer pour Miss Jones sort officiellement en France en septembre 1975 alors que Gorge profonde sort une semaine après et Derrière la porte verte une semaine encore après.
"Des siècles et des siècles, écrit Annie Ernaux, des centaines de générations et c'est maintenant seulement que l'on peut voir cela, un sexe de femme et un sexe d'homme s'unissant, le sperme - ce qu'on ne pouvait regarder sans presque mourir - devenu aussi facile à voir qu'un serrement de main".
Et cependant, le 30 décembre, 1975 le Parlement prétextant que l'engouement populaire pour le X ferait ombrage au cinéma "normal", adopte une loi permettant à la commission de censure de classer un film dans la catégorie X ce qui canalise le public dans des salles spécialisées, pénalise financièrement le producteur avec augmentation de la TVA. L'importation est surtaxée, ce qui incite à une surproduction nationale. En 1980, le porno ne draine plus que 2,6 % des entrées. De 1980 à 1984, il se produit en France 50, 40, 30, 20 puis 10 films pornographiques.
Censuré économiquement et culturellement, le cinéma érotique prend une nouvelle fois la voie de la sublimation. Une seule exception L'empire des sens (Nagisha Oshima, 1976).
Le "star system" à la française.
Alors qu'on aime le dire moribond à Hollywood le "star system" triomphe en France. Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon drainent les foules des années. Totalement conditionné par une publicité tapageuse, le public va voir Isabelle Adjani plus que "l'Eté meurtrier" (Jean Becker, 1983). Quand le comédien devient vedette, réalise ce qu'il représente aux yeux des financiers, il se met à vouloir occuper la première place. Dès lors le processus de dégradation est en marche et, après avoir bien servi le cinéma, l'acteur en devient tout à coup le plus grand ennemi. Puisque les spectateurs ne viennent que pour la vedette, pourquoi s'embarrasser de scénarios difficiles ou de réalisateurs exigeants ? L'efficacité l'emporte sur la qualité. On recherche le fonctionnel, on utilise les recettes éprouvées, on élimine le risque, la recherche.. l'art. Le commerce concocte et diffuse un produit qui se vend sur la bonne mine de sa vedette et dont le public attend un numéro bien rodé.. Il suffit donc de refaire inlassablement les mêmes succès et "la boum 2" succède à "La boum" avec la même équipe (Claude Pinoteau, 1980-1982) et surtout la même Sophie Marceau tandis que le quartette Isabelle Adjani, Natalie Baye, Isabelle Huppert et Miou-Miou truste tout le reste des écrans pendant dix ans.
Les conséquence du "star system" en tant que mode de production sont donc déterminantes, non seulement au niveau de la conception du scénario (image de marque de la vedette à respecter), mais aussi dans l'établissement du découpage (présence dans le plus grand nombre possible de séquences), dans la mise en scène (consacrer beaucoup de gros plan à la vedette, la placer devant les autres acteurs), et jusque dans la composition des images (la plupart des vedettes veulent une photo claire, être pris sous leur angle le plus favorable et l'éclairage le plus flatteur)
La fréquentation du cinéma en salle se maintient entre 1977 et 1982. En 1983 elle entame une baisse qui ne sera plus freinée qu'exceptionnellement. Malgré les lois Lang le cinéma des années 80 entre en crise : il devient marchandise culturelle.
Principaux films français de 1968 à
1983 :
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L'argent | Robert Bresson | 1983 | |
A nos amours | Maurice Pialat | 1983 | |
Je vous salue Marie | Jean-Luc Godard | 1983 | |
Pauline à la plage | Eric Rohmer | 1982 | |
Une chambre en ville | Jacques Demy | 1982 | |
L'enfant secret | Philippe Garrel | 1982 | |
Passion | Jean-Luc Godard | 1981 | |
Agatha ou les lectures illimitées | Marguerite Duras | 1981 | |
La femme d'à côté | François Truffaut | 1981 | |
Mon oncle d'Amerique | Alain Resnais | 1980 | |
Sauve qui peut (la vie) | Jean-Luc Godard | 1980 | |
La chambre verte | François Truffaut | 1978 | |
Le fond de l'air est rouge | Chris Marker | 1977 | |
Providence | Alain Resnais | 1977 | |
L'homme qui aimait les femmes | François Truffaut | 1977 | |
Cet obscur objet du désir | Luis Bunuel | 1977 | |
M. Klein | Joseph Losey | 1976 | |
L'histoire d'Adèle H. | François Truffaut | 1975 | |
Jeanne Dealman | Chantal Akeman | 1975 | |
India Song | Marguerite Duras | 1975 | |
Cocorico ! Monsieur poulet | Jean Rouch | 1974 | |
Le fantôme de la liberté | Luis Bunuel | 1974 | |
Mes petites amoureuses | Jean Eustache | 1974 | |
Moïse et Aaron | Jean-Marie Straub | 1974 | |
La maman et la putain | Jean Eustache | 1973 | |
La nuit américaine | François Truffaut | 1973 | |
Le charme discret de la bourgeoisie | Luis Bunuel | 1972 | |
Trafic | Jacques Tati | 1971 | |
Les deux Anglaises et le continent | François Truffaut | 1971 | |
Le cercle rouge | Jean-Pierre-Melville | 1970 | |
Peau d'âne | Jacques Demy | 1970 | |
L'enfant sauvage | François Truffaut | 1969 | |
Model shop | Jacques Demy | 1969 | |
Que la bête meure | Claude Chabrol | 1969 | |
L'amour fou | Jacques Rivette | 1968 | |
La voie lactée | Luis Bunuel | 1968 | |
La sirène du Mississippi | François Truffaut | 1968 | |